Maladie, amitiés, familles, amours et dépendance : un tel cocktail ne fait pas forcément bon ménage. Pourtant Delphine Gleize parvient d’abord à tisser un film plutôt convaincant. S’il ne se délite pas complètement, l’ensemble se banalise et ne tient malheureusement pas sur toute la longueur. Dommage.
Les dominos que l’on observe lors du générique sont mieux ordonnés que les cellules du corps de Romain (Quentin Challal), 13 ans, souffrant d’une maladie génétique rare qui fait de lui un « enfant de lune » ne pouvant supporter la lumière du jour. On le découvre dans une maison semblable à une cage de verre — inaugurant un rapport problématique au monde et à autrui — dans laquelle il se meut comme un petit animal. Sous une épaisse crinière brune, un humour assez brut de décoffrage mais bien humain se mêle à cet air un peu sauvage. Suivi depuis l’âge de 2 ans par David (Vincent Lindon), les deux êtres ont noué une amitié peu commune. Il est à la fois médecin, copain et père de substitution, puisque celui de Romain a pris la poudre d’escampette depuis bien longtemps. Cette singulière relation fait office d’équilibre pour chacun, aussi bien pour l’ado écorché vif que ce dermatologue bienveillant, représentation sensible du dévouement d’un corps médical qui n’a pas le temps d’avoir de vie « à côté » : la vie, c’est le métier.
Le précaire équilibre devient sérieusement brinquebalant lorsque David obtient un poste très élevé à l’OMS, une demande de promotion qu’il avait lui-même fini par oublier. Carlotta (Emmanuelle Devos), la remplaçante, est perçue comme une intruse, une anomalie, et David ne parvient pas à annoncer à Romain son prochain départ. Porteur d’une maladie orpheline, voilà ce dernier bientôt orphelin de médecin, et de père, de substitution ou non. Présenté ainsi, on craint l’édifice pontifiant et dégoulinant de bons sentiments. Si ces derniers ne sont pas absents, Delphine Gleize parvient à inscrire son film dans le ton assez décalé, âpre et un peu doux-dingue, qu’on lui connaît depuis Sale battars (1998, premier court remarqué de la cinéaste, notamment césarisé en 2000). La Permission de minuit s’avère aussi bien servi par des interprètes inspirés et homogènes que par une mise en scène sensible, souvent limpide : variation des échelles de plans, proches en intérieur, inscription des corps dans l’espace et les paysages lors des extérieurs. Avec la tenue anti-UV des « enfants de la lune », l’ambiance est parfois à la science-fiction, ce que la photo accentue en utilisant des teintes légèrement déréalisantes.
On tiendrait donc une réussite là où bien des cinéastes se cassent le nez plus que régulièrement. Oui, sauf que pas tout à fait. Prometteur dans son amorce, trouvant un souffle inaugural, La Permission de minuit ne parvient toutefois pas à se maintenir sur la longueur. Sans vraiment se déliter, il se banalise. Il s’agit de suivre un ado en construction (la problématique du corps, ici au carré voire au cube), de savoir qui va s’effondrer et qui a le plus besoin de l’autre : Romain ou David ? Au fur et à mesure de son déroulement, on ressent de plus en plus les directions plus convenues et pesantes d’une écriture qui perd en singularité. D’abord compact, de sérieux courants d’air pénètrent ensuite le film et l’on finit par attendre sagement que ça se passe. Si le résultat est donc finalement décevant, il ne faudra toutefois pas oublier la belle promesse des 45 premières minutes, et retenir aussi le fait que Delphine Gleize filme le rugby avec beaucoup plus de talent que Clint Eastwood.