Question pour un champion : je suis un sujet délicat traité avec une approche vériste et un regard sans concession. Je suis, je suis, je suis… Vous avez (rien) gagné : je suis un film de la jeune vague allemande ! Un couple à deux facettes. Une harmonie apparente d’un côté. De l’autre, Monsieur encaisse de Madame des coups, encore des coups. Rien à reprocher, tout ça est bien mené. Cela suffit-il ?
Alors que le moral des ménages est au plus bas, la France n’en finit plus de se taper sur les cuisses, les yeux embués de bonheur, à coups de comédies multimillionnaires en spectateurs. Un commerce extérieur florissant, des indicateurs au vert, nos voisins et amis allemands veulent visiblement déprimer encore un peu plus le pays en s’évertuant à nous envoyer des films aux sujets pour le moins noirs. Après le très riant Le Libre Arbitre de Mathias Glasner en janvier, dans lequel un violeur luttait en vain contre des pulsions récidivistes, voici donc maintenant L’Un contre l’autre, ou l’histoire d’un mari aimant soumis aux coups de son épouse. L’aporie de ce parallèle de parfaite mauvaise foi mise à part, la démarche, un peu répétitive de films en films, pourrait finir par dégonfler la bulle de la belle énergie cinématographique outre-Rhin. N’y a-t-il pas en effet un risque de lassitude avec cette recette qui va finir par paraître éculée ? Ceci ne veut pas dire que le présent film est mauvais. Loin de là.
Georg Hoffman (Mathias Brandt) est un bon flic, il doit d’ailleurs être promu prochainement. Ses deux enfants, partis de la maison, étudient, Anne (Victoria Trauttmansdorff), son épouse, est institutrice. Lorsque Monsieur rentre au domicile conjugal un bouquet de fleurs à la main, les retrouvailles avec Madame sont a priori chaleureuses, même si un malaise est latent, déjà. Les enfants arrivent pour aller chez les grands-parents maternels. Bref, ils forment une famille comme tant d’autres, avec ses rituels, ennuyeux ou pas, là n’est pas la question. Puis, imperceptiblement, de retour dans l’appartement, la tension s’accroît au sein du couple, Georg use d’une phrase en forme de désamorçage mais surtout d’aveu de faiblesse : « ce n’est pas un drame ». La tentative d’étreinte devient un affrontement, unilatéral. L’exaspération d’Anne est à son comble : les coups pleuvent sur le corps passif et recroquevillé. Une scène que l’on devine habituelle, depuis deux ans apprend-on au cours du film. L’image est sans affèteries, légèrement granuleuse. Le montage use parfois de très légères ellipses, formant ainsi des faux raccords à peine perceptibles, comme une hésitation notamment pour entrer/sortir ou ouvrir/fermer une porte. La caméra est souvent portée mais assez stable, même si régulièrement le cadre est légèrement vacillant, à l’image de ce couple pourtant indéfectiblement aimant.
Mais l’argument de L’Un contre l’autre n’est pas d’ordre esthétique, il réside davantage dans ce récit où Anne incarne le retournement des valeurs masculine et virile. Georg s’excuse sans cesse et, côté professionnel, ses collègues moquent gentiment sa sensibilité et sa douceur, renvoyant à une forme de faiblesse féminine. Quelles sont les pistes pour expliquer cette violence sourde qui éclate lors de scènes éprouvantes dans lesquelles l’interprétation impressionne ? Il y a bien cette sexualité catastrophique au sein du couple. Mais elle est plus symptôme que cause. Deux éléments associés sont à retenir plus sérieusement. Le fait que Georg et Anne exercent des métiers liés à l’autorité, qui plus est pour le compte de l’État, renvoie à la gestion, professionnellement parlant, de situations conflictuelles. De la violence d’État à la violence paternelle, il n’y a qu’un pas. Jan Bonny le franchit allègrement : la douleur d’Anne est un œdipe mal cicatrisé, et même pas du tout. S’est construit avec son père un rapport pathologique, sur le mode de l’humiliation dont elle est le perpétuel récepteur. Elle cherche en Georg une toute-puissance à laquelle il ne répond que par des excuses et une volonté de désamorçage, qui ne font qu’amplifier le ressentiment. Elle se situe alors dans la reproduction de cette relation maladive, exprimée ici physiquement et non symboliquement. Lors d’un repas, les enfants ulcérés, qui ont pris bien soin de s’extirper du foyer dès que possible, verbalisent cela de la plus simple des manières : « tu parles comme papy » lâchent-ils à leur mère.