Le Libre Arbitre s’empare d’un thème pour le moins sensible : un violeur sorti de détention psychiatrique se trouvant aux prises avec ses désirs puis l’amour. À partir de cette histoire pour le moins pesante, Mathias Glasner n’hésite pas à placer le spectateur dans une position inconfortable en ne choisissant pas la voie d’une réhabilitation triomphale. Se côtoient la brutale solitude des êtres, la violence crue des scènes de viols et la tendresse entre des êtres traumatisés. Ce film renvoie à une veine du cinéma allemand naturaliste, notamment celle d’Henner Winckler, n’hésitant pas à s’emparer sans compromis de sujets difficiles, intégrant ici un traitement parfois symboliste.
Tourné chronologiquement, Le Libre Arbitre s’ouvre sur une scène qui fit douter le cinéaste du bien-fondé de son entreprise lorsqu’il découvrit ce qu’il avait filmé. Le décor est planté… Née dans la frustration d’une cuisine collective où il travaille, la pulsion s’empare du violeur. Puissante, elle ne le quittera plus jusqu’à l’acte irrémédiable et odieux. Pour tourner, explicitement, cet acte, il semble que le cinéaste ait cherché à retrouver la photographie crépusculaire et jaunie du Kieslowski de Tu ne tueras point, auquel même l’acteur, excellent Jürgen Vogel, renvoie. Changement de ton neuf ans plus tard. Dans l’institution où Theo fut détenu et soigné, la lumière est devenue clinique, blanche. Ce virage esthétique résume-t-il la trajectoire du personnage pendant cette thérapie ? Ce passage d’un jaune poisseux à l’immaculé est-il celui de sa guérison, mieux, de sa rédemption ? Il serait ainsi lavé de ce désir coupable et déviant. Devenu svelte, le corps de Theo est la manifestation d’une volonté de soumettre cette enveloppe à une discipline, de ne pas se laisser dominer par lui. On le verra se soumettre à d’intenses exercices de musculation allant dans ce sens, une scène de masturbation prend une signification analogue, celui de faire taire ce corps, d’épuiser ses désirs et, plus largement, ses manifestations.
À l’extérieur, les épreuves débutent. Lors d’une séance d’essayage vestimentaire, on assiste à la nécessaire réappropriation de son apparence. Mais ce dehors est celui de tous les dangers, où ce que Theo a le plus à craindre est avant tout lui-même, où le désir et la séduction sont d’insondables problèmes. Il n’a plus le « confort » d’être enfermé, seulement son libre arbitre, celui là même dont use simplement une serveuse qui répond à son invitation empruntée par un simple, poli et limpide : « non, je ne veux pas boire un coup avec toi ». Retour à la case solitude. Un bus à attendre dans la nuit. Theo est assis au bord droit du cadre, une jeune femme debout sur la gauche. Une publicité pour un parfum les sépare, sur celle-ci deux jeunes gens de sexes opposés s’enlacent, la main droite du garçon presse la poitrine dénudée, l’autre s’aventure dans le pantalon déboutonné de la Lolita. Désir de consommation ?
C’est alors qu’intervient Nettie (Sabine Timoteo), une jeune fille qui coupe les liens avec un père qui, on le devine, abuse d’elle, psychologiquement, mais néanmoins gravement. « Je n’aime pas les hommes, je n’en veux pas » dit-elle. Theo est prévenu. Deux êtres dominés par une immense faille traumatique, deux pièces d’un puzzle qui s’accorderaient. Matthias Glasner fait alors planer l’ombre d’une réhabilitation mutuelle et d’un espoir. Ce dernier prend d’abord la forme d’un sourire qu’ils se renvoient, le rictus est hésitant, peine à venir, puis s’installe, franc. Lors d’une partie de karaté, une violence d’abord sourde finit par s’exprimer. Apprivoisement des corps. Theo et Nettie cheminent, un peu terrifiés et intimidés, vers une histoire sentimentale. Assez logiquement, la liaison ne se matérialisera qu’à l’occasion d’un décentrement géographique. Laissé seul en Allemagne, il la rejoint alors qu’elle est partie pour Ostende afin de suivre un apprentissage en cuisine. Et les retrouvailles ont enfin le goût de l’amour. Le cinéaste capte ces actes de tendresse, d’abandon et de complicité avec une belle délicatesse, sans paroles et sans mots.
On aurait pu en rester là, par exemple à cet Ave Maria de rédemption entendu dans une église de la côte belge. Mais pour Matthias Glasner, tout commence ici. Notamment ce fameux concept de libre arbitre qui donne ce titre peut-être un peu inutilement pompeux au film. Les deux personnages sont « sauvés » à ce moment, encore faut-il chérir et accepter le fait de l’être. Après avoir fait miroiter l’espoir, l’entrée en déliquescence de celui-ci s’avère éprouvante. Mais il est aussi la marque d’un courage certain : celui de filmer avec la même empathie, en risquant le malaise ou l’incompréhension, ce qu’il y a de meilleur et de pire en l’humain. Un alliage qui peut déconcerter mais aussi convaincre par sa volonté de ne pas répondre simplement aux questions les plus difficiles.