Mention spéciale pour un Premier Film au dernier Festival International du Film de Berlin, La Bataille de Tabatô n’est pas sans rappeler, du moins sur le papier, le Tabou de Miguel Gomes, sorti il y a tout juste un an. Cinéaste portugais en Afrique, voix off suave nous contant l’histoire d’un pays (ici la Guinée-Bissau), images en noir et blanc… malgré ces étonnantes similitudes, la comparaison s’arrête là, car le film de João Viana a sa propre voix. Celle de la tradition orale mandingue, dont cet étrange long-métrage semble le dépositaire, à la manière d’un griot cinématographique.
La Bataille de Tabatô ressemble à une fable, où la légende rencontre l’histoire banale d’une jeune fille, Fatu. Elle s’apprête à épouser Idrissa, célèbre chanteur des « Supercamarimba » et a demandé à son père, Baio, exilé au Portugal depuis plus de trente ans, de revenir en Guinée-Bissau pour l’accompagner le jour de son mariage. La cérémonie doit se tenir à Tabatô, village de griots, peuple de musiciens. Mais Baio a à peine parcouru quelques mètres au sortir de l’aéroport que les souvenirs traumatisants de la guerre d’indépendance ressurgissent. Le film suit alors le périple conduisant cet homme qui, rangé du côté des colons portugais, souffre de se considérer comme un traitre de son pays, jusqu’à sa dernière bataille.
Les voix plurielles de Guinée-Bissau
La narration du premier long-métrage de João Viana semble relever de l’oral plutôt que de l’écrit, portée par des voix plurielles nous contant la Guinée-Bissau entre la tradition et la modernité. Là est déjà la première bataille de ce film sibyllin, qui voit s’affronter différents univers sonores propres à chacun des personnages. Baio transporte une valise pleine de mystérieux objets, inoffensifs jouets rouillés trimballés depuis le Portugal activant le trauma de la guerre par des hallucinations auditives de rafales ou d’explosions. Autour d’Idrissa, les balafons racontent l’Afrique, quand sa future épouse, professeure narrant l’Histoire des mandingues depuis son MacBook, écoute la radio dans le 4x4 qui la mène à la noce. Moins que le scénario, ce sont ces sons qui prennent le pouls de l’Afrique et transmettent, tels des griots de cinéma, les tensions d’un présent face au besoin du pays d’avancer sans pouvoir faire table rase du passé. Porté par l’oralité, le rythme alterne accélérations et suspensions, lesquelles ne manqueront pas de dérouter, voire de s’égarer dans quelques longueurs un tantinet pompeuses (notamment au premier soir de Baio sur sa terre natale).
C’est que le film va jusqu’au bout de son programme antinaturaliste, privilégiant la stylisation au risque de se complaire à l’occasion dans l’esthétisme. Le jeu des acteurs, corps hiératiques dans de larges plans le plus souvent vidés d’habitants, les transforme en figures mythologiques auxquelles on peine parfois à s’accrocher. Il est vrai que Viana joue avec une certaine distance. Plusieurs images à la focale courte imposent ses personnages au premier plan, au bord du cadre, derrière lesquels la Guinée-Bissau semble défiler au loin, tel un écran. Ce travail de l’espace, intéressant quoiqu’un peu trop théorique, creuse un écart inhabitable, appuyé par la dépendance des plans abruptement disloqués par un montage dissonant.
Duel pour la paix
Il faudra une ultime bataille pour que ces plans singulièrement vides et distants se remplissent. Ce sera celle qui donne son titre à ce film aussi fascinant qu’irritant, véritable sublimation transportant, littéralement, l’ordinaire vers le cérémonial. Après le sacrifice de Fatu, indispensable ingrédient à la valeur mythique de cette tragédie, un duel musical oppose Baio et Idrissa dans le village des griots. La musique apaise les violentes tensions rouges qui viennent lacérer les visions de Baio. Elle devient une arme œuvrant pour l’apaisement, un instrument de résistance, seule capable de vaincre la mémoire blessée de la guerre et de remplir l’image africaine de son peuple.