Cinq jeunes gens isolés dans une cabane au fond des bois : voilà une situation qui suffit en elle-même à convoquer toute une mémoire de cinéma d’horreur (Evil Dead en tête). Donc par là même, un terreau idéal pour l’entreprise de déconstruction du genre à laquelle se livre Drew Goddard dans La Cabane dans les bois, sa première réalisation. Avec une habileté extrême et un sens aigu du divertissement, ce scénariste chevronné donne à un banal point de départ d’insoupçonnables développements.
La présentation des protagonistes de l’histoire suffit à planter un décor qui pourrait sembler simplement parodique : la sage rousse, la blonde délurée, le sportif décomplexé, le fumeur de joints et bien sûr « l’intello ». Mais Drew Goddard introduit d’emblée au sein de ces figures familières des détails discordants : ainsi par exemple, c’est le sportif décomplexé qui recommande à la sage rousse quels livres à emporter avec elle pour leur virée, plutôt que l’intello. Voilà qui est louche…
Dès la scène inaugurale et progressivement tout au long du film, un contre-récit est développé de façon inversement symétrique au premier : l’histoire des jeunes part d’une somme de clichés pour s’en détourner progressivement, tandis que le récit parallèle part d’une situation incompréhensible, dont les tenants et aboutissants seront dévoilés petit à petit. Jolie prouesse de la part des scénaristes que d’avoir trouvé le juste dosage pour que la rétention d’information n’entrave jamais le plaisir mais l’amplifie au contraire – sans même parler de la prouesse que représente l’imposition à l’industrie cinématographique de choix aussi peu conformes aux lois du genre. D’un côté, donc, l’ambiance terreuse de la forêt et la progression de personnages innocents vers un sort forcément funeste. De l’autre, des hommes et femmes impassibles dans des cadres lumineux et aseptisés. Le réalisateur orchestre la partie de ping-pong entre ces deux univers avec force inventivité, pour un résultat proprement jubilatoire.
On ne s’étonnera pas que Drew Goddard et Joss Whedon, co-auteurs du scénario, aient d’abord collaboré sur la série Buffy contre les vampires. Non pas que La Cabane dans les bois en soit très proche en surface – l’un comme l’autre tentent de donner une image de leur époque propre, ce qui suffit à les rendre très différents – mais l’on y retrouve un même esprit, alliant une distance ironique à une grande sincérité. La Cabane dans les bois se démarque tout autant des films de torture-porn qu’il critique implicitement que du relatif cynisme de certaines entreprises de déconstruction du genre auxquelles il pourrait s’apparenter (la franchise Scream, typiquement) : par-delà les pirouettes intellectuelles que les auteurs se plaisent à mettre en place, détruisant une à une toutes nos attentes de spectateurs, l’estime qu’ils portent à leurs personnages reste, elle, inébranlable.