Bernard Campan est sympathique. Des trois Inconnus, c’est le seul à avoir réussi à négocier le difficile virage qui mène au statut d’acteur dramatique tant désiré par nombre de comédiens cantonnés aux rôles de rigolos de service. Campan a su mettre à profit son physique terrien de bon copain pas très intello, mais pas débile non plus, dans des films mineurs d’où ressort toujours son jeu naturel et maladroit, forcément attachant. Pas étonnant, donc, que La Face cachée, son premier long métrage de réalisateur en solo (il a co-réalisé les trois films des Inconnus) soit dans la même veine que les films qu’il a tournés avec la réalisatrice qui a révélé sa part « sombre », Zabou Breitman, dans des films comme Se souvenir des belles choses et L’Homme de sa vie. Pas étonnant non plus que La Face cachée souffre plus ou moins des mêmes défauts, en dépit d’une sincérité évidente.
Difficile de ne pas voir derrière le titre du film, La Face cachée, l’ultime désir de reconnaissance d’un comédien devenu riche et célèbre grâce à ses sketches et ses films avec la troupe des Inconnus et qui, depuis une petite dizaine d’années, est passé avec succès dans la catégorie dite « supérieure », celle des clowns blancs qui peuvent aussi faire pleurer. Ce que nous dit ce titre en substance, c’est que Bernard Campan n’est pas qu’un rigolo devenu comédien dramatique reconnu, mais également un auteur capable d’émouvoir au-delà de son jeu : avec ses mots, sa caméra, son propre film. La face cachée de Campan, elle est là, mise à nu, offerte au public, à prendre ou à laisser.
Il y a quelque chose d’émouvant dans cette volonté quasi obsessionnelle de transcender son image publique pour aller à l’essentiel. D’autres s’y sont essayés avec succès, pourquoi pas Campan ? La trame du film est très simple, elle laisse suffisamment d’espace aux comédiens pour démontrer toute l’étendue de leur jeu. Divisé en quatre tableaux, quatre week-ends, le film nous invite dans l’intimité d’un couple marié, François et Isabelle (Campan et Karin Viard), dont la lente érosion n’est pas seulement due au temps, mais peut-être à quelque chose de plus profond, de plus grave. François parle, parle tout le temps, s’interroge à haute voix sur le sens de la vie, se pose tout plein de questions, se confie à son meilleur ami (Jean-Hugues Anglade) et à sa femme, qui ne semble pas écouter. Elle est ailleurs, complètement déconnectée. Ses humeurs varient d’une minute à l’autre, elle partage ses journées entre clope et shopping, semble constamment se demander ce qu’elle fout là, oublie des choses importantes. Elle ne va pas bien, mais on ne sait pas pourquoi.
Campan aborde tout le film du point de vue de François, et c’est toute la limite de ce drame souvent caricatural, bavard et étonnamment prétentieux dans sa façon d’intellectualiser les moindres faits et gestes de ses personnages. On aurait envie de plus de sensualité, plus de silences aussi, de non-dits, de creux. Si la fin du film justifie parfaitement ce trop-plein d’agitation, de paroles, ce remplissage permanent, il n’empêche que l’on étouffe tout autant qu’Isabelle, et que ce qu’on croit deviner chez elle (une lassitude grandissante face à la crise de la quarantaine de son mari) est aussi ce que l’on peut ressentir devant le film. Campan se rêve réalisateur sensible, à fleur de peau, identique au comédien qu’il est devenu. Mais à trop souligner cette sensibilité, il ne touche plus personne. Le précédent film de Zabou Breitman, L’Homme de sa vie, souffrait des mêmes défauts : à trop vouloir faire dans le beau, le poétique, l’on finit par tomber dans l’illustratif, le joli papier peint devant lequel on ne ressent plus grand-chose, si ce n’est un ennui profond.
C’est d’autant plus regrettable que dans le difficile rôle d’Isabelle, Karin Viard fait des merveilles : les personnages de femmes au bord de la crise de nerfs sont si nombreux dans le cinéma français que la comparaison avec d’autres est souvent inévitable mais ici, l’actrice propose quelque chose de totalement inédit, qui lui appartient entièrement, grâce à sa diction si particulière, sa façon bien à elle de poser son regard, d’être dans le cadre. On voudrait la voir plus souvent, mais la structure narrative du film empêche Bernard Campan de varier les points de vue, puisque La Face cachée repose sur un de ces twists finals habituellement réservés au cinéma fantastique. Dommage que l’on doive attendre la dernière scène pour mieux la comprendre, pour enfin être ému, pour que les gesticulations nombrilistes et souvent ineptes de François prennent un peu de sens pour les personnages, et pour nous. Pour en arriver là, il aura fallu endurer une bouillie assez indigeste des pensées d’un réalisateur qui gagnerait à nous faire ressentir sa vision du monde autrement. Avec moins de bavardages et plus de simplicité.