Après un premier long métrage primé à Venise, et deux succès populaires, Bombón el Perro et Historias Mínimas, Carlos Sorín s’est construit une solide notoriété. Il revient avec La Ventana, un film minimaliste (surtout dans son scénario), où il met en scène Antonio, vieil homme de 86 ans, propriétaire d’une belle hacienda, où en même temps qu’attendre son fils, il attend de mourir. Un spectacle d’une lenteur énigmatique qui vous convie avec grâce vers les bras de Morphée, quand bien même l’expérience ne dure que soixante-quinze minutes et qu’à la fin, vous au moins réussirez à ouvrir les yeux.
Antonio (interprété par Antonio Larreta) est malade. Il est vieux aussi. Ses gestes sont lents, il parle peu, sa vie s’écoule pareil au rythme de la nature. D’ailleurs, de son lit, il l’observe cette nature. Il espère, il soupire, il survit. Deux gouvernantes s’occupent de lui faciliter la tâche, elles le soignent, lui parlent comme on s’adresse à un vieux sur le point de mourir, avec des mots rassurants, des mots qu’on dit aux enfants. N’est – il pas vrai au fond que vieillir c’est un peu rajeunir ? Il meurt d’envie de rejoindre cette nature émancipée qu’il entraperçoit quand les volets s’ouvrent, mais ses jambes sont trop faibles pour le supporter, alors il passe son temps (et nous aussi) à admirer le soleil se lever puis se coucher. Pour s’occuper, il pense et prépare l’arrivée de son fils, attendu comme le Messie, un pianiste célèbre mais dont on sait peu de choses, sauf que leurs relations sembles tendues.
Carlos Sorín cherche à filmer la solitude d’un homme face à la mort. Donc il préfère le silence et épure son scénario autant que l’image. La biographie d’Irène Nemirovsky sur Anton Tchekhov et sa mort légendaire au champagne ainsi qu’une nouvelle de Raymond Carver, Les Trois Roses jaunes, seront pour lui une source d’inspiration. Mais pas seulement. La solitude, la mort, les conflits familiaux, cela rappelle aussi Ingmar Bergman dont Les Fraises sauvages a terriblement marqué le réalisateur, un de ce genre de film avec lequel on vit, sans s’en rendre compte mais qui vous influence définitivement. Dès lors, dans La Ventana, il insiste sur les silences, accentue la bande-son, amplifie le bruit des feuilles, du clic-clac de l’horloge, des ruminations d’Antonio, d’une mouche, des oiseaux, de ce piano ré-accordé, enfin, tout y passe mais rien ne se passe. Il nous semble que cette maison résonne, elle sonne creux, personne n’y vit vraiment, mais un homme, Antonio, veille de son lit, il entend tout, surveille et soupçonne aussi ses deux aides à domicile de vols sans preuves. Perd-il la tête ? Pas faux.
Personne ne rit dans cette demeure fastueuse à la beauté parfaite. À l’image d’Intérieurs de Woody Allen, Carlos Sorín crée des jeux de lumière, des contrastes visant à capturer ce temps qui ne fait que passer. Tout tourne autour d’un flash-back qui ouvre et termine le film. La caméra se glisse dans les pensées d’Antonio et se souvient. Sa mémoire revient quand surgit la fin de l’histoire, il cherche à se rappeler le visage d’une femme, de ses parents, d’une soirée, il est enfant, la caméra subjective se perd à reconstituer la réalité dans un film muet où l’image devient floue. Antonio vit dès lors dans un autre monde, il se lance un défi, tant est si bien qu’il se sent soudain le courage d’aller marcher, de s’enfuir dans son hacienda, comme un enfant, en douce, accroché à la vie comme à sa perfusion.
Belle métaphore, oui, le voilà planté au beau milieu de sa terre, incapable d’avancer, le temps le rattrape, il s’arrête, le temps aussi. Et Carlos Sorín s’attarde à nous faire ressentir les sensations du personnage, décuple les sons, le filme en gros plan et en contre-plongée, il l’affaiblit, l’enferme là où il rêvait d’être, d’un coup ce vieil homme devient si seul que la nature semble l’engloutir. Quand bien même l’acte se révèle être une pure folie mais rentre dans l’histoire, la scène peut prêter à sourire. La faute en partie aux mauvais jeux d’acteurs (et/ou de direction d’acteurs?). N’oublions pas qu’Antonio Laretta est avant toutes choses, un écrivain. Son visage n’affiche qu’une seule expression, celle du rien, du fade, du vide. Sans compter la prestation de ce fameux Messie, son fils accompagné de sa petite amie, censés représenter des gens de la ville qui dépriment quand ils arrivent à la campagne. Les voilà qui cherchent par tous les moyens à regarder s’ils captent un réseau de leur portable. Une caricature ridicule puisqu’au lieu de soutenir le film, elle l’alourdit en insistant, avec maladresse, sur ces jeunes insolents qui continuent à vivre, et ce vieil homme qui meurt seul, sans soutien véritable. Pour bouleverser, il en faut tout de même, un peu plus. Surtout quand on choisit de parler de sujets si délicats même si, comme le dit Thomas Bernhardt, « face à la mort, tout est risible ».