Pour sa première réalisation, Olivier Loustau a envie de tout : d’un premier rôle qu’il n’a jamais eu malgré quatre collaborations avec Kechiche, d’une chronique sociale et d’une rencontre amoureuse. Écueil semblable à celui de l’écrivain qui souhaite tout dire dès son premier roman, ce péché d’orgueil originel se voit compensé par un désir, celui de poser un regard tendre sur une classe ouvrière mise à mal par les ravages de la mondialisation. C’est dans cet esprit que le cinéaste semble écrire l’approche, dans une usine du périurbain, entre une ergonome en devenir – fille du patron des lieux – et un ouvrier, confronté à l’éventualité d’une faillite. D’une tendresse un peu maladroite dans l’exposition de son univers, Olivier Loustau parvient à nous livrer un film à l’écriture sensible et qui ne manque pas de subtilité.
Malgré la recherche d’une véritable usine pour lieu de tournage et la sélection de certains de ses ouvriers pour silhouettes, l’univers de La Fille du patron semble davantage s’attacher à la recherche d’une image d’Épinal qu’à celle d’un réalisme formel. Semblant parfois lorgner dans l’imaginaire populiste d’un Jean-Pierre Pernaut plus que dans celui, moins idéalisé, d’un Ken Loach, Olivier Loustau part du principe résolu que la froideur du monde ouvrier doit être rendue solaire si l’on veut conférer à ce dernier un peu de beauté. En conséquence, si, dans La Fille du patron, les prolétaires roannais sont représentés râblés, mal habillés, amateurs de beuveries et d’un humour grivois destiné à exalter leur caractère viril, ce n’est jamais pour les ridiculiser mais pour attirer vers eux le regard compassionnel de citadins dont on n’aurait pu craindre qu’il ne vire à la condescendance. Un risque qui se voit de facto évité par la mise en scène de matchs de rugby réunissant les ouvriers et leurs supérieurs sous le même maillot et qui lui permettent de valoriser leur sens de l’entraide, du courage et de l’intégrité. Au-delà pouvons-nous voir en ces matchs un outil de lutte des classes destiné à transcender l’ensemble des hiérarchies sociales établies par des valeurs d’amitié et de camaraderie supérieures.
Les germes d’un espoir
En contraste du ton légèrement pastel de ce décor qui constitue le principal bémol du film, l’intrigue amoureuse qui se joue entre ses deux principaux protagonistes, Alix (Christa Théret) et Vital (Olivier Loustau), fait preuve de plus de nuances. Née d’une rencontre entre deux désirs d’émancipation sociale plutôt que de sentiments réciproques, elle constitue pour ces personnages une bouffée d’air frais, sans que le désir d’une romance trop appuyée ne lui confère la moindre propension au mélodrame. À contrepied des comédies romantiques balisées, La Fille du patron ne cherche donc pas à forcer la conciliation des univers dissonants de ses amants en déroulant la moindre scène gaguesque de compromission, mais uniquement à soumettre à leur regard la possibilité d’un autre paradigme. En les isolant dans un espace qui n’appartient qu’à eux, l’idée du long-métrage n’est pas de les enjoindre à se trouver, en dépit de leurs origines, mais simplement de mettre l’accent sur une rencontre qui pourrait les libérer. À cet exercice, les deux comédiens répondent par une partition juste, peut-être facilitée par des personnages écrits tout en sobriété et donnant peu dans les grands éclats. Il appartiendra toutefois, au delà de Christa Théret et d’Olivier Loustau, de saluer plus avant la composition de Florence Thomassin, campant avec sensibilité une femme trompée à l’orgueil blessé.
Au vu de ses qualités d’écriture, nous aurions aimé qu’Olivier Loustau s’éparpille moins et parvienne à mieux cadrer ce sujet qu’est l’adultère et dans lequel il parvient à diriger si habilement ses acteurs. L’écrin social dans lequel il situe son intrigue semble, a contrario, souffrir d’une tendresse un peu enfantine (son père ayant lui-même été ouvrier) qui, si elle ne parasite pas son film, le pénalise par certaines longueurs et sous-intrigues qui n’aboutissent pas. De ces arcs narratifs qui constituent le ventre mou du film, la relation filiale qui lui donne son titre (et pouvait laisser craindre une thématique un peu rabattue) s’avère aussi inconsistante qu’inoffensive. Une faute dommageable puisque la figure paternelle, incarnée avec conviction par Patrick Descamps, était construite avec intelligence et sans manichéisme. Cet homme, refusant à sa fille un ouvrier, en lui confessant, acculé mais par fierté, avoir épousé sa mère pour son argent, aurait définitivement gagné à être exploré plus avant. Davantage que ses employés, c’est lui, central, qui aurait été le mieux à même de porter la charge sociale du film.
La Fille du patron, œuvre intelligente en déséquilibre, oscillant entre chronique facile et intelligence du personnage et de ses rapports, porte tout de même en elle les germes d’un cinéaste à surveiller. Qu’il s’agisse de sport, de travail manuel ou de sensualité, Loustau y met en scène la rencontre des corps avec justesse, notamment en jouant sur des échelles de plans qui marquent de façon fluide les transitions entre intimité et camaraderie. Cette délicatesse fait écho à la subtilité des liens qui les unissent et confère à son premier film une cohérence plus évidente que ne l’est la cohésion entre ses intrigues. C’est elle, au-delà de l’écriture, qui donne envie d’espérer et de considérer que La Fille du patron nous restera un jour comme le charmant galop d’essai de son auteur.