On ne peut pas dire que l’insertion du cinéma français dans le genre horrifique ait été très concluante. On ne peut d’ailleurs pas dire non plus que tout ce qui tient de la culture geek s’accommode aisément de notre système de production. Ce n’est pas le moindre mérite de Benjamin Rocher et Yannick Dahan d’avoir bataillé à contre-courant pour réaliser leur fantasme de voir un film de zombie français qui tienne la route. Et même si ce combat a coûté au film quelques plumes, ce dernier se dresse fièrement, ensanglanté mais victorieux, sur l’écran.
Les films de genre en France sont souvent très complexés, charriant leur lot d’aigreur, d’anxiété et de besoin de reconnaissance. Ce sont des films alourdis par leurs intentions, boursouflés par leurs références, écrasés par leurs prétentions. C’est bien souvent un cinéma qui s’oppose idiomatiquement aux films « d’auteur », qui rejette massivement l’héritage de la Nouvelle Vague, et qui lorgne puérilement vers la chimérique Hollywood. C’est en particulier le cas du film d’horreur à la française, dont la maigreur du budget n’a d’égal que la grandiloquence de la posture. Le grand guignol du gore y rejoint souvent et bien artificiellement la pompe du discours politique et social, comme gage de profondeur thématique qui assume mal le simple caractère ludique du film. C’est ce piège que Yannick Dahan et Benjamin Rocher parviennent à déjouer, en affirmant clairement l’aspect purement fun de leur film. Le politique, le social, ils ne l’effleurent que légèrement pour contextualiser leur histoire, l’ancrer dans une réalité bien française et en faire littéralement le décor du film (un HLM délabré quasi laissé à l’abandon) qui permet de prendre une distance nette avec le cinéma hollywoodien. Car la question qui se pose ici est comment intégrer un genre résolument américain (le film de mort-vivant) au sein du cinéma français qui n’a pas une structure de studio (comme ce fut le cas en Italie dans les années 1970/80) qui lui permettrait d’en reproduire les codes ? La réponse que l’on a pu trouver en Angleterre (Shaun of the Dead) ou en Corée (The Host) est la suivante : en croisant les genres, en faisant immerger en plein cinéma typiquement du terroir (la comédie potache en mi-teinte anglaise, la satire sociale dépressive coréenne) les créatures d’imagination hollywoodienne (les zombies ou les monstres difformes).
C’est donc en optant pour la voie du polar bien de chez nous que les réalisateurs introduisent leurs morts-vivants : une bande de flics pas très fréquentables, pour venger l’un des leurs sauvagement assassiné, mène une petite opération commando dans un immeuble désaffecté afin de faire la peau à une bande de malfrats en planque. Ça tourne mal et les gangsters prennent l’avantage. Mais, sans que personne ne l’ait vu venir, une catastrophe dont on ignore l’origine transforme les cadavres en morts-vivants. Flics et voyous se retrouvent piégés dans la tour, contraints de faire équipe pour essayer de s’en sortir. En confrontant le scénario basique des flics ripoux au scénario basique des zombies pourrissants, les auteurs provoquent un petit électrochoc culturel étincelant, redonnant un peu de fraîcheur à des poncifs cinématographiques français usés jusqu’à la moelle et du peps aux films d’horreur hexagonaux qui semblaient définitivement condamnés aux tentatives sans lendemain. Il faut dire que ce film était attendu au tournant après tous les récents essais décevants pour lancer un courant horrifique dans la production française. Beaucoup d’espoirs furent sourdement fondés autour de la personnalité de Yannick Dahan, critique cinéma passionné, spécialisé dans le cinéma de genre et dont l’émission Opération Frisson, diffusée sur CinéCinéma Frisson, est sans nul doute l’un des plus réjouissants espaces audiovisuels où l’on parle encore de cinéma.
Ainsi se sert-il de sa connaissance des films de genre comme point d’appui robuste pour conduire le film en toute sécurité. Il sait notamment que leurs véritables vecteurs de fiction sont les personnages qui deviennent ici le point fort de son récit (le point faible étant plutôt les péripéties qu’on devine peu développées en raison d’une économie réduite). En les caractérisant avec précision, il les sort de la posture de pantins désincarnés qui leur pendait au nez en creusant leur ambiguïté, permettant à l’histoire de s’articuler autour de leurs humeurs et de leur tempérament, leur conférant une personnalité réversible et trouble. C’est l’autre piège que lui et Rocher évitent et qui contaminait les films d’horreur français : laisser les effets sanguinolents prendre le pas sur l’identification aux protagonistes. Si on ne croit pas en eux, on ne croit pas en leur souffrance non plus, logique. Ici, leur fascination pour les héros badass et malsains, qui rappelle le Rob Zombie de The Devil’s Rejects, pose les jalons d’une culture pop et geek, alliant les images iconiques de Frazetta aux visuels des jeux de survival horror, qui clame haut et fort que sa présence dans le cinéma français est possible. Tout l’enjeu se situe là, dans le point de jonction qui maintient en équilibre différents horizons culturels a priori inconciliables. La grande idée scénaristique, ici, est d’invoquer pour faire le liant un personnage on ne peut plus franco-français, René (Yves Pignot), vétéran d’Indochine, bedonnant et gouailleur, et d’en faire un personnage pivot de la fiction de genre, à savoir le vieux guide expérimenté, fédérateur des tensions qui l’entourent mais aussi sidekick comique.
La démarche de Dahan et Rocher, si elle n’a rien de révolutionnaire, assure au film une solidité propre aux films dits de « qualité » qui n’ont pas que des défauts : direction d’acteur soutenue, dialogues percutants, réalisation carrée etc… Cette conception du cinéma comme art appliqué n’a rien d’étonnant de la part d’un ancien rédacteur de Positif et de Mad Movies, c’est-à-dire quelqu’un qui conçoit le découpage cinématographique comme une grammaire et n’appréhende pas les questions esthétiques comme des questions idéologiques. C’est toute la limite de ce cinéma mais c’est également ce qui lui confère une certaine humilité. La Horde est donc une réussite modeste qui trouve sa valeur dans la rareté même de ce statut, mais aussi dans la grande honnêteté de ses auteurs dont la jubilation à mettre sur pied avec soin un film dont ils pourraient être les premiers spectateurs est totalement communicative. Il n’y a qu’à voir Jo Prestia tataner du zombie pour s’en convaincre.