De Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) à Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967) en passant par les westerns italiens, The Devil’s Rejects regorge de références cinéphiliques. Mais le réalisateur Rob Zombie (Robert Cummings, fondateur du groupe métal-indus White Zombie) ne se contente pas de citations, il questionne ces films et retrouve toute la créativité artistique du cinéma des années 1970. Il livre ainsi un road-movie à mi-chemin entre le polar et le film d’horreur, profondément dérangeant et cinématographiquement pertinent.
À l’heure où le cinéma américain laisse de moins en moins de place aux réalisateurs à forte identité au profit de films formatés pour les ventes de DVD, il est toujours appréciable d’y constater la naissance de nouveaux auteurs prometteurs. Et si, par le passé, les jeunes cinéastes contestataires ont su s’imposer par le biais du film de genre (et principalement le cinéma d’horreur), on ne peut que se réjouir quand de respectueux cinéphiles suivent leurs traces. En l’occurrence Rob Zombie (tout un programme!), fan absolu du cinéma indépendant des années 1970, avait déjà tenté, avec La Maison des 1000 morts (2001, sorti tout récemment en DVD en France), de rendre hommage à tout un pan du cinéma américain qui, dans son engagement contre la guerre du Viêt-Nam, livra des films violents et novateurs, avant de se dissoudre dans le systématisme hollywoodien. C’est donc de manière révoltée qu’il a exécuté son premier film, afin de redonner au cinéma d’horreur son véritable sens, en réaction aux slashers poussifs et peu inventifs, taillés pour un public adolescent, qui ont pollué le marché ces dernières années. Le cinéma de Rob Zombie vient d’une nécessité cinéphilique, œuvrant pour un travail de mémoire qui, loin d’être passéiste, essaye de prolonger la voie qu’une poignée d’artistes avait ouverte avant lui.
Il n’en démord pas avec The Devil’s Rejects, et continue son introspection du cinéma de genre des années 70, lorgnant cette fois-ci plutôt du côté du polar et du western, mais toujours empreint d’horreur. Rob Zombie se classe donc directement parmi les quelques cinéastes-cinéphiles (comme Jean-Luc Godard ou Brian De Palma), dont la spécificité est de retravailler une image connue, afin de la repenser, la prolonger, et ainsi redéfinir le cinéma, là où des cinéastes-cinéphages (espèce plus répandue) comme Tarantino recyclent une image sans vraiment s’interroger sur son sens (ce qui n’empêche pas leurs films d’être plaisants, mais plus limités).
Film de cavale, au schéma scénaristique très convenu, The Devil’s Rejects a pour particularité d’avoir comme héros trois des psychopathes sataniques qui hantaient son film précédent : le capitaine Spaulding, Otis et Baby Firefly (le père, le fils, la fille). Trois tueurs dégénérés et pervers poursuivis par le shérif Wydell qui, pour les arrêter, est prêt à devenir aussi brutal qu’eux. En filmant la fuite de ces trois protagonistes, Zombie s’efforce de les rendre attachants en montrant leur solidarité familiale et des moments intimes de leur vie de groupe. Mais il n’omet pas de rendre compte de leur sadisme destructeur (notamment lors d’une scène de prise d’otage dans un motel). Le spectateur, en perte de repère, ne peut s’identifier à eux, ce qui implique qu’il doit changer ses habitudes en regardant le film de façon différente. Il est contraint de prendre du recul sur l’intrigue et à déterminer lui-même son positionnement par rapport à l’amoralité des personnages, quand la plupart des productions hollywoodiennes s’en servent pour induire une idéologie. Le spectateur est alors conscient de son statut, il n’est pas pris en otage par la violence exposée à l’écran car celle-ci est sincère et n’est pas le fruit d’une volonté artificielle de choquer. C’est ce qui différencie The Devil’s Rejects d’un film comme Hostel (Eli Roth, 2005) ou Audition (Takeshi Miike, 2003).
La mise en scène, loin de tout maniérisme formel, privilégie l’expression sur la stylisation. L’utilisation de la caméra à l’épaule renforce l’instabilité de l’image, retranscrivant l’atmosphère oppressante d’un univers où tout peut basculer. Zombie multiplie les gros plans pour nous plonger au plus près de cette communauté, afin qu’aucun détail ne nous soit épargné. Mais surtout, il se laisse aller aux errements propres à la série B : il s’attarde sur les personnages secondaires, livrant quelques saynètes parfois hilarantes, scénaristiquement inutiles, mais qui permettent une respiration du récit ; et il monte certaines séquences en les rythmant entièrement sur le tempo de la bande originale, allant même parfois jusqu’à occulter le son. Il exprime ainsi le profond sentiment de liberté qui anime les personnages (libres parce que sans limites), exalté par exemple lors de la dernière séquence du film, entièrement structurée sur la chanson « Free Bird » de Lynyrd Skynyrd.