Malgré les difficultés pour réunir un budget suffisamment conséquent, La Marea réussit à s’inscrire comme une œuvre répondant parfaitement aux intentions initiales de Diego Martínez Vignatti. Suivant le chemin de son feeling, il ne se satisfait pas seulement d’exposer aux spectateurs le thème de son film mais tente avec succès de nous faire entrer dans la peau de cette mère de famille qui doit désormais apprendre à vivre sans son mari et sans son fils.
Azul est une mère de famille à la petite vie tranquille. D’entrée de jeu, tout bascule pour elle lorsqu’elle sort, seule survivante, d’un accident de voiture. Voici tout le ton dramatique de la première œuvre de fiction de Diego Martínez Vignatti. Pour affronter ce deuil si difficile, Azul décide de fuir le monde. Et quoi de mieux qu’un bord de mer isolé pour vivre pleinement la solitude souhaitée ? Ses intentions réelles ne sont pas exprimées. Cherche-t-elle la solitude pour oublier ce qu’il s’est passé, pour éviter le regard compatissant des gens, pour oublier qu’elle existe, oublier que les autres continuent de vivre malgré tout ? Peut-être un peu de tout ça. Ce qui est certain, c’est que Martínez Vignatti a cherché à réduire cette mère de famille jouissant d’une vie à première vue bien installée à l’état basique, voire animal, où seuls les besoins corporels de survie nous commandent. Manger, boire, dormir, se chauffer : voici désormais les activités quotidiennes d’Azul.
S’il paraît difficile de faire tenir le spectateur une heure vingt avec ces seules activités, le réalisateur réussit pourtant à nous mener au générique de fin en inscrivant les gestes d’Azul dans une répétition, une temporalité, jusqu’à progressivement remplir ses journées et donc notre temps. Ici on prend son temps, tout est étiré pour nous imprégner d’une souffrance difficile à imaginer. C’est une forme d’autisme qui est décrite. Seule la découverte d’une chienne blessée va sortir Azul de son enfermement, pour la ramener petit à petit à la vie. C’est alors qu’elle devient subitement sensible à autre chose que sa propre douleur.
Pour obtenir un tel résultat, Martínez Vignatti a laissé parler son instinct. Il n’y a jamais eu de véritable scénario de La Marea. Une heure vingt de film tenait à la base en douze pages seulement, dans lesquelles les sujets que le réalisateur voulait aborder étaient décrits. Difficile dans ces conditions d’obtenir de grands financements. Le budget est alors limité mais suffit pour réaliser les désirs de Martínez. Le film s’est fait au jour le jour, dans sa continuité chronologique afin de lui permettre d’évoluer de manière organique. Toutes les décisions de cadrages et de mise en scène se sont faites sur l’instant, en résonance à un lieu précis, un moment précis, une lumière précise pour le réalisateur.
Antonioni disait que s’il le pouvait, il mettrait une caméra à l’intérieur de ses personnages. En parfait accord avec ce maître du néoréalisme italien, Martínez raconte son film du point de vue d’Azul. Certains moments donnent l’impression qu’on est dans son esprit, comme si elle était à la fois le personnage et la narratrice de sa propre destinée. De cette manière, le rêve se confond bien souvent avec la réalité, ce qui crée une confusion et une sorte de perdition chez le spectateur, rappelant bien entendu celle vécue par Azul sur l’instant.
Malgré son désir de vouloir nous faire vivre les choses telles qu’Azul les ressent, Martínez nous laisse finalement le champ libre de toute interprétation. Nous avons certaines informations narratives, à nous d’en faire de notre choix en fonction de notre sensibilité. Car si la subjectivité d’Azul est purement exposée, le réalisateur n’aime pas les films qui dirigent les esprits, qui expliquent comment penser, quoi croire. La transition est assez déstabilisante car Martínez nous projette à l’intérieur d’un personnage tout au long de son film pour nous laisser « à l’abandon » sur la fin. Brève sensation de rester un peu sur sa faim étant donné le ton subjectif de l’ensemble de l’œuvre.