Dans une scène au milieu de La Nuée, Virginie, une entomocultrice au bout du rouleau, décide de tendre son bras à ses sauterelles pour les nourrir de sa chair. En ouvrant la toile protectrice qui isole les insectes, son geste fait basculer un drame familial (une veuve et ses deux enfants peinent à joindre les deux bouts) dans un film d’horreur à la lisière du fantastique. La rupture prend la forme d’une faille, celle de la bâche dans laquelle Virginie insère son bras. Toute la suite du film ne cessera de jouer avec la porosité des surfaces, qu’elles soient charnelles ou synthétiques. C’est qu’elles renvoient à la béance de la petite famille : l’absence d’une figure paternelle, que les sauterelles finiront par combler. D’abord enfants, dépendants d’une mère nourricière (Virginie) qui les alimente et prend soin d’eux, les insectes deviennent peu à peu des figures d’autorité à mesure qu’ils grossissent et prolifèrent. Au centre de toutes les préoccupations, ils imposent au reste de la famille leur présence bruyante et leurs désirs dévorants, jusqu’à entretenir une relation charnelle avec l’agricultrice et se substituer par là complètement au défunt mari.
Programme osé, sous l’influence directe de David Cronenberg voire, pour prendre un exemple plus récent et plus proche géographiquement, de Grave de Julia Ducournau. Tout ceci reste toutefois à l’état d’ébauche, tant les meilleures idées de La Nuée, en dépit de quelques éclats notables (notamment un plan inaugural qui adopte le point de vue d’un insecte et reconduit la contre-plongée aérienne typique du cinéma d’horreur depuis Shining), sont disséminées dans une mise en scène souvent atone et un récit qui manque globalement de rythme. La première partie du film, laborieuse introduction dans laquelle la situation familiale est inutilement développée, permet au cinéaste de jouer la montre. Certes, le temps que prend le film sert à maintenir la tension avant un dénouement libérateur, où les insectes ne forment plus qu’une masse grouillante, amas insaisissable devant laquelle on ne pourrait que s’enfermer (entendre par là : reconstituer la « cellule » familiale, ici sous une barque retournée en guise d’abri). Mais La Nuée souffre par là d’un problème assez évident : celui d’être pris au piège de deux voies conflictuelles et inabouties. D’une part le film cherche à faire le portrait d’une agriculture en crise, brossée à gros traits et sous l’angle habituel (le débordement du travail sur la vie privée qui confine à la folie), et de l’autre il s’affirme comme une série B horrifique exclusivement pensée pour son climax spectaculaire – apothéose qui, bien qu’assez réussie, peine à faire oublier ce tableau d’ensemble contrasté.