À bord du Mirador, Julien Samani partage le quotidien des marins. L’absence est le maître-mot de ce documentaire. Mais la timide caméra ne trouve pas sa place parmi des marins qui semblent absents à eux-mêmes.
La caméra embarquée filme les femmes restées sur l’île d’Yeu (côtes d’Irlande) pendant que s’éloigne le Mirador (mirage à lui tout seul : on n’en verra jamais l’allure). De retour, toujours à bord, on voit accoster les marins. Entre temps, il est censé s’être écoulé quinze jours pendant lesquels a eu lieu le retour du même : le bruit de la mer, le roulis du bateau, le silence des marins, la pêche au gros.
Si ce « film » tient du documentaire par l’absence de texte et d’acteurs de profession, il échappe toutefois au didactisme qui est inhérent au genre. Julien Samani dit ne rien connaître au monde des marins, à la fin du film, le spectateur non plus.
S’il tient alors à présenter La Peau trouée comme un objet cinématographique, avec, dit-il, un souci de progression entre l’interaction des images et du son, il est toutefois regrettable que l’atmosphère confinée de l’habitation du bateau ne soit pas confrontée à l’immensité de la mer. Le cadre est si restreint que pour un peu, tout aurait pu se passer à quai. Mais le point culminant du film est bien la longue scène de pêche, laquelle se transforme vite en un carnage inexpliqué : 90 requins en une journée, harponnés, entassés les uns sur les autres, morts par manque d’air. L’alternance de champ-contrechamp et la multiplication des points de vues pour capter ce moment sanglant sont non signifiantes. Combien de temps a duré cette pêche ? Impossible de déterminer la durée réelle car Julien Samani hésite aussi entre plan séquence et montage. C’est donc dans la durée irréelle que se situe la fiction. Sans qu’il le veuille, la fictionalisation temporelle de cette scène de pêche participe au reproche qui pèse sur les marins de l’île d’Yeu, celui de nuire à la faune par une pêche sauvage.
Par ailleurs, le choix de réduire ces longues journées en une seule, à titre d’exemple on s’en doute, ne permet pas de rendre compte de l’éternel recommencement du travail des marins, de la solitude du quotidien sur un bateau en haute mer. Même les plans séquences restent trop courts pour atteindre la profondeur du silence des hommes. Ceux-ci sont filmés à distance et de manière si timide, que jamais l’on ne peut, si ce n’est comprendre, du moins saisir leur mystère, leur attrait pour la mer.
Le titre annonce la blessure profonde d’un être de chair, celle que dit avoir perçue Julien Samani dans chaque marin qu’il a pu côtoyer. Là encore, le spectateur ne peut dépasser l’apparence austère que présente le mutisme de ces hommes. L’image ne perce pas les corps. L’humanité n’est pas rendue sensible. Dommage quand l’on sait que le titre fait écho au poème « Je suis né troué » de l’écorché Henri Michaux.
Il souffle un vent terrible.
Ce n’est qu’un petit trou dans ma poitrine,
Mais il y souffle un vent terrible. (…)
… ce n’est qu’un vent, un vide.
On voit partout le manque mais pas celui du cœur des hommes.