Certaines avant-premières de La Petite Chambre s’accompagnaient d’une intervention concernant les décès in utero et leurs séquelles psychologiques sur les mères ainsi avortées. Dramatiser aussi ostensiblement le film en soulignant sa référence à une sorte de « phénomène de société » n’est pas le meilleur service à lui rendre, mais d’une certaine façon, avec sa tentative d’introduire des aperçus sociaux dans un drame individuel, il construit lui-même la cage pour se faire exposer. Ce premier long métrage écrit et réalisé à quatre mains suisses (l’une des réalisatrices fut la princesse Galathée de l’Astrée dont Rohmer fit son dernier film) est pris entre deux feux qui, brûlant ensemble, tendent à se faire mutuellement de l’ombre. D’un côté, on orchestre la rencontre de deux acteurs reconnus, dans des rôles dramatiquement chargés pour lesquels on attend toute leur puissance de conviction. De l’autre, en arrière-plan des blessures de leurs personnages, on tente une percée vers des sujets plus publics, comme le traitement de la fin de vie. Et le film de réunir les deux composantes en un drame souffrant de reposer essentiellement sur une mécanique de scénario un peu sèche, caractéristique qui n’a jamais favorisé l’expression sincère des émotions.
Le poids des archétypes
Elle (Florence Loiret-Caille) est infirmière à domicile ; ses patients âgés ne l’aident pas beaucoup — forcément — mais son refus d’accepter la perte de son enfant (dans son ventre au huitième mois de sa grossesse, précision lâchée au milieu du film) n’arrange rien en l’amenant à frayer avec la déraison. Lui (Michel Bouquet) a un cœur qui arrive en fin de cycle, mais l’esprit encore vif, il refuse — évidemment — le centre médical où souhaite l’envoyer un fils trop pressé de refaire sa vie aux États-Unis.
Les archétypes sont connus, les acteurs ne surprennent guère en les endossant, leur rencontre est inévitable et la progression de leur relation reste prévisible. Mais c’est encore dans le caractère calculé de cette confrontation, dans la façon de trop bien « emboîter » ses figures, que La Petite Chambre déçoit le plus. Le scénario s’ingénie à sur-signifier la mécanique de ses lieux communs, en jouant à fond sur les effets de symétrie les plus convenus : jeune/vieux, jamais né/bientôt mort, transition pour tous — même le « fils indigne » — du refus à l’acceptation, symétrie ayant pour centre cette petite chambre bleue d’enfant cristallisant à la fois la crise et l’apaisement. Il faut aussi évoquer cette fâcheuse tendance de certains mélodrames à exhiber le travail sur la psychologie des personnages au travers des dialogues, si travaillés et bien joués qu’ils soient, faisant pencher le film vers une œuvre d’écriture froide plutôt que vers une œuvre cherchant à rendre sensible une part de réalité via les moyens du cinéma. Un tic de genre ici préjudiciable aux éléments de malaise qui auraient pu déporter le récit vers des zones moins balisées, notamment ce personnage d’infirmière reportant, jusqu’à frôler le dérapage, son instinct maternel contrarié sur le vieil homme.
Un duo trop balisé
On sent bien que les réalisatrices souhaitent traiter tout cela avec sobriété et délicatesse — à l’image des dernières traces du vieil homme qu’on découvre à la fin sur des photos prises par d’autres, comme si, avant de mourir, il avait enfin discrètement intégré le monde qui l’entourait et à l’écart duquel il tendait à se tenir auparavant. Mais cette scène-là, sans doute la meilleure, fonctionne surtout parce qu’il s’agit d’une conclusion, parce que le personnage n’est plus là. Le reste du temps, l’implication de la mise en scène à donner chair aux lieux communs qu’elle manipule a bien du mal à dépasser l’illustration plus ou moins délicate, tendant à s’arrêter là où se fait sentir le poids de l’écriture balisée, des acteurs et des « sujets sensibles » invités en toile de fond. Loiret-Caille est la plus à la peine, portant comme elle peut son rôle de femme borderline, tour à tour renfermée dans sa carapace et maladivement investie dans son rôle d’aide, néanmoins plombée par des scènes à la limite du grotesque à force de surligner son mal-être, comme cette crise conjugale dans la chambre bleue prétexte à l’attendu et redouté déballage psychologique évoqué plus haut. Bouquet, à défaut de surprendre, s’amuse avec plus d’aise en papy grincheux, ancré à ses certitudes, rebelle à l’institution et aux attentions de façade dont il fait l’objet, mais avant tout intérieurement solitaire, trouvant le repos dans le spectacle du lac Léman et des Alpes suisses.
La raison d’être de La Petite Chambre se résume finalement à cela : un duo d’acteurs à l’œuvre dans un cadre bien balisé. Autour d’eux, même l’évocation d’un sujet aussi public et contemporain que le traitement de la fin de la vie par la société (activité menacée, c’est connu et ici surligné à gros traits, par une certaine déshumanisation marchande) est réduite à un prétexte pour l’écriture psychologique et l’interprétation des personnages. Les visage en gros plan des patients de l’infirmière ne servent qu’à ajouter à son propre malaise, le spectacle de personnes âgées proches de légumes aussi, quand elles ne servent pas de cadre inerte à un Bouquet faisant le garnement. On ne peut évidemment guère voir là-dedans un quelconque constat social, simplement une occasion pour un drame et des jeux d’acteurs de se faire valoir. Une forme d’exploitation assez grossière et dispensable, surtout au regard du peu qui en est tiré.