Remarqué à la dernière édition du festival du Cinéma du Réel, La Pluie et le beau temps a la belle ambition de confronter les enjeux de la culture du lin en Normandie à la nouvelle réalité économique chinoise, principale consommatrice de cette matière première. Habilement, la réalisatrice laisse se dessiner en contrepoint les enjeux complexes de la mondialisation.
Au-delà de ses belles qualités formelles, le documentaire d’Ariane Doublet a déjà le joli mérite de nous enseigner les liens d’interdépendance entre l’économie chinoise et… normande. Ceux qui ignoreraient cette information seront surpris d’apprendre que la région, célèbre pour ses jolis bocages, est l’une des plus grandes productrices au monde de lin et que les Chinois constituent, aujourd’hui, les principaux acheteurs, soufflant le chaud et le froid sur un secteur agricole qui s’était déjà bien organisé avant la nouvelle donne économique de ces dernières années. C’est autour de ce jeu d’échelle (une région de quelques milliers de kilomètres carrés face à un pays-continent) que la réalisatrice scrute cet étrange rapport de force induit par la mondialisation et le manque de compréhension des enjeux – souvent très abstraits – de part et d’autre de la machine. Pour autant, Ariane Doublet n’a pas l’intention de faire un énième Dessous des cartes – l’objectif n’est pas pédagogique – mais de capter l’écart persistant entre les intérêts individuels et la logique de marché.
Non sans humour, les premières scènes de La Pluie et le beau temps jouent avec les clichés répandus que les Français peuvent avoir des Chinois lorsqu’ils visitent notre pays. Réfugiés dans un bus, les touristes scrutent à travers les vitres la variété des paysages environnants tout en se tenant à solide distance de ceux qui y vivent. Sauf qu’ici, ce ne sont pas les habituels monuments parisiens ou châteaux de la Loire qui déploient leur superbe mais les dockers du port du Havre. Le déplacement pose donc ici d’autres enjeux – connaître ses partenaires, choisir la production de lin la plus qualitative et la moins coûteuse – mais l’absence de porosité entre les deux cultures reste de mise. De chaque côté, on sait communiquer lorsqu’il est question d’argent, mais l’autre reste – et restera – une terre inconnue et hermétiquement inaccessible. C’est de cette inquiétante ambivalence – nerf central du film – que le documentaire se nourrit : comment collaborer avec l’autre lorsque l’absence de curiosité ne permet pas de combler les flagrantes différences culturelles ? L’humain est donc mis de côté – même si les exploitants normands déclarent hypocritement vouloir privilégier leurs relations avec leur client principal – au risque d’accroître la vulnérabilité de l’offreur face au demandeur, lorsque ce n’est pas la météo qui s’en mêle.
Intelligemment, la réalisatrice est allée s’entretenir avec les principaux acteurs de l’économie du lin : d’un côté, les exploitants français, soucieux de préserver le marché tout en maintenant un certain niveau de qualité, de l’autre, les ouvriers chinois pour qui ces principes géo-économiques sont d’une abstraction sans limite. On aurait pu craindre que le dispositif ne soit un peu facile, mettant trop lourdement en exergue tout ce qui nous sépare. D’ailleurs, au cours des premiers entretiens dans une chambrée de garçons, les échanges viennent un peu trop rapidement sur ce terrain-là, comme s’il fallait dès les premières minutes souligner le manque d’intérêt des travailleurs chinois pour ce qui dépasse le simple cadre de leur quotidien de travail. Bien heureusement, les entretiens se poursuivent et nous permettent d’écouter plusieurs jeunes femmes parler assez simplement d’elles-mêmes et, en contrepoint, de leur précarité financière. Pour elles, le droit du travail n’est même pas une notion liée à leur activité. Le simple fait de pouvoir subsister et envoyer de l’argent à sa famille justifie qu’on ne se pose pas de questions sur le pourquoi du comment. Là sonne toute la différence avec la France, vieille puissance sur le déclin, qui, par acquit de conscience, voudra toujours connaître sa place sur l’échiquier.