Décidément, la mode est à la course-poursuite. Après Vincent Gallo pourchassé dans les neiges d’un pays de l’Est (Essential Killing), c’est au tour d’Albert Dupontel d’avoir des hommes à ses trousses. Thriller français dans la lignée du Fugitif, La Proie conjugue action, enquête et vengeance, sans trop de suspens mais avec une belle efficacité.
Franck Adrien (Albert Dupontel), braqueur de son état, purge tranquillement sa peine, attendant sa sortie pour récupérer le butin caché. Son codétenu, Jean-Louis Maurel (Stéphane Debac), accusé de viol mais clamant son innocence, est l’objet de toutes les « attentions » des autres prisonniers. Quand Franck le défend lors d’une tentative de viol, un lien de confiance se tisse entre les deux hommes. La libération prochaine de Jean-Louis incite Franck à lui révéler la cachette de l’argent afin qu’il en remette une partie à sa femme en difficulté. Mais alors qu’il croit avoir mis sa famille en sécurité, la visite d’un ancien policier (Sergi Lopez) lui fait entrevoir la vérité : il vient d’offrir une nouvelle proie au serial-killer qui partageait sa cellule. Sa seule option : s’évader. Sa seule obsession : retrouver sa femme et sa fille disparues.
Si la trame scénaristique ne révolutionne pas le genre (un homme, poursuivi par la police, pourchasse celui qui tente de le piéger), La Proie parvient tout de même à tirer son épingle du jeu. Malgré l’inscription « inspiré de faits réels » (l’affaire Fourniret en l’espèce), habitude qui devient ces derniers temps une caution cinématographique absurde pour un film de fiction, le film de Valette assume son appartenance au cinéma français et ne cherche pas à concurrencer les États-Unis à coups d’effets spéciaux et de cascades explosives. Cette humilité de moyens permet aux acteurs d’exister au sein du dispositif et pas seulement de faire de la figuration. Niveau casting, si Dupontel remplit correctement son cahier des charges, c’est du côté de Stéphane Debac que le regard se tourne. Acteur peu connu, qui a enquillé de nombreuses séries et autres téléfilms, il se révèle à la fois banal et beauf (le pauvre type en pantalon à pince et banane à la ceinture à qui on ne peut que faire confiance), et parfaitement inquiétant. Ainsi, dans une scène où il voit s’échapper sa future victime, la maladresse, la lourdeur un peu bébête du personnage laisse la place à un instinct de prédateur aiguisé, une agilité retrouvée, la soif de violence suintant de tous ses pores. Sa prestation domine largement chacune de ses apparitions, faisant même, au début du film, douter le public de sa culpabilité tant son personnage paraît inoffensif.
L’autre intelligence du film réside dans le jeu de chaises musicales du « qui est poursuivi ». Car si le film se nomme La Proie, la bête pourchassée n’est quasiment jamais la même d’une scène à l’autre. Au premier plan, Albert Dupontel cherche à sauver sa peau alors qu’il est soupçonné des crimes commis en réalité par Debac. Debac se révèle la proie de Dupontel, ivre de vengeance face à la disparition de sa petite fille, devenue la proie des fantasmes maternels de la femme de Debac (Natacha Régnier). Dans le prologue du film, même Claire Linné (Alice Taglioni), la policière chargée de coincer le fuyard, sert d’appât, de proie dans une enquête mafieuse. Sans compter les nombreuses victimes qui émaillent la course poursuite qui nous mène de Paris au sud de la France, chaque protagoniste est la proie d’un autre, un être finalement réifié, un outil au service d’une cause (enrichissement, valorisation professionnelle, vengeance…). Cette modification des enjeux selon les scènes évite l’essoufflement de la chasse à l’homme à proprement parlé, qui consiste à suivre un parcours en décalé (le principe Benny Hill, où tout le monde se suit) jusqu’à la confrontation finale des principaux personnages.
Malheureusement, l’épilogue oublie ce traitement un peu décalé pour revenir à un happy-end indigeste, comme si faire disparaître définitivement ses personnages restait un tabou cinématographique. On n’en arrive pas jusqu’à verser une larme, mais le pathos qui se dégage de cette ultime scène plombe les efforts de réalisme entrepris par Valette pour ne laisser qu’un vague sentiment de « gentil » film.
Si La Proie ne sort pas des sentiers (re)battus, le film s’offre tout de même un casting de choix qui insuffle un rythme plaisant et une singularité très française à un genre plutôt américain. Une bonne surprise qui ne bouscule pas le spectateur mais lui fait passer un bon moment. C’est déjà pas mal.