Pour survivre, une jeune paysanne est contrainte d’abandonner l’enfant qu’elle vient de mettre au monde. Elle est engagée comme nourrice par un couple aisé et doit s’occuper de leur premier enfant. Des liens vont se tisser entre les très jeunes femmes, toutes deux rêvant d’une vie meilleure. Mais l’amitié entre une servante et sa maîtresse peut-elle survivre au regard désapprobateur de la société ? Antoine Santana, dont c’est le deuxième long métrage, s’est visiblement emparé de ce sujet avec enthousiasme et sincérité : La Ravisseuse ne pouvait donc pas être un film foncièrement antipathique. Dommage qu’il n’en reste qu’un travail bâclé, confus et souvent laborieux.
Monter un film historique n’est pas chose aisée. Il faut effectuer de longues recherches sur l’époque concernée, créer des costumes fidèles, trouver des décors réalistes, éviter les anachronismes, et au besoin, faire parler les acteurs comme dans « l’ancien temps ». En bref, il faut « faire vrai ». On imagine donc bien que, pour raconter l’histoire d’Angèle-Marie, engagée comme nourrice « à domicile » par une famille de bourgeois, Antoine Santana s’est bien renseigné sur les mentalités de cette fin de XIXe siècle, où la grande mortalité infantile avait fait réagir quelques médecins « hygiénistes », soucieux de conserver la descendance des classes les plus aisées (au détriment des enfants de paysans). Et le cinéaste de confirmer à chaque scène l’étendue de son travail : voir ainsi les différentes interventions du fameux médecin de famille, donnant des leçons d’hygiène à la nourrice, ou, pire, la réplique du jeune bourgeois interprété par Grégoire Colin, pour qui « la femme moderne doit être une sorte de ministre de l’intérieur ».
Très vite, La Ravisseuse se transforme donc en une sorte de mini manuel, du genre « la vie privée dans les campagnes françaises au moment de la IIIe République ». De retour sur les bancs de l’école, les spectateurs les moins avertis apprendront que les femmes bourgeoises, élevées dans des couvents, n’avaient pas d’éducation sexuelle, alors que les paysannes « savaient tout ». Ils s’étonneront peut-être de la cruauté de la société envers les nourrices, qu’on contraignait à abandonner leurs propres enfants à une mort certaine. Mais là où le bât blesse, c’est que le film n’est pas seulement une séance de rattrapage express pour nuls en histoire. Antoine Santana l’a voulu beaucoup plus profond : d’où sans doute un décalage extrême entre des dialogues type vieux feuilleton adapté de Zola, le jeu totalement incertain des acteurs et une irrésistible envie de faire original. Au mieux, cela donne des scènes sensuelles et équivoques entre les deux actrices principales (notamment lorsque Isild Le Besco brosse langoureusement les cheveux d’Émilie Dequenne), au pire, il faudra supporter les discussions de café du commerce entre Léonce la domestique (Anémone, ridicule) et son maître, ou les séances de potins entre la nourrice et sa maîtresse (Émilie Dequenne, littéralement à côté de la plaque). Plus question alors d’interrogations existentielles sur les hiérarchies sociales…
Ce qui fait le malheur d’Antoine Santana est typique de la plupart des films historiques ratés. Plonger dans l’Histoire signifie souvent dénoncer des situations passées et en tirer des leçons pour l’avenir. Rares donc sont les films historiques qui n’entendent pas « transmettre un message ». Celui d’Antoine Santana est clair, trop sans doute : rien n’est plus rébarbatif que de s’entendre expliquer en long, en large et en travers, sans aucune nuance, qu’autrefois, les patrons ne se conduisaient pas correctement avec leurs domestiques. Le deuxième travers de La Ravisseuse – complémentaire du premier – conduit à tomber dans un maniérisme propre aux cinéastes qui refusent qu’on réduise leur film à un « message ». Intention louable a priori, mais qui verse ici dans le chaos total et l’esthétisme de bazar : scènes oniriques où la nourrice se rêve en princesse de conte de fées, fantasmes du jeune bourgeois pour la poitrine de cette même nourrice (appuyés par des effets lourdingues, avec force ralentis, ou travellings arrière suivis de travellings avant), coupures brutales de scènes inachevées, etc. C’est peu dire qu’on se sent alors totalement perdu.
Au bout d’une heure et demie de projection, reste une certitude : qu’Antoine Santana est le témoin d’un jeune cinéma français ampoulé, tellement engoncé dans l’angoisse de vouloir dire quelque chose qu’il en devient mortellement ennuyeux.