Reprenant la locution métaphorique du sociologue Lian Si qui décrivit ainsi en 2009 la situation précaire des jeunes diplômés au chômage en périphérie des grandes villes, Yang Huilong a visiblement eu à cœur, pour son premier film, de dresser le portrait précis et militant d’une jeunesse délaissée par les pouvoirs publics et les pôles de croissance économique.
Si Still Life filmait en 2006 les conséquences humaines de la destruction des villages engloutis par le barrage des Trois Gorges, La Tribu des fourmis met en espace le désespoir de trois jeunes diplômés qui se débattent pour obtenir un petit bout de la réussite promise avant la destruction de leur bidonville de Tang Jialing. L’introduction, toute en mouvement, dévoile le trio amical sur des bicyclettes, riant de leurs aventures présentes et futures, peu inquiets de l’avenir radieux que leur promet les haut-parleurs répétant sans fin l’annonce de la destruction. C’est le contraste effrayant entre l’allant, la volonté des jeunes gens et la laideur sordide des faubourgs abandonnés dans lesquels ils s’entassent que souligne Yang Huilong : armée silencieuse, ces fourmis avancent dans l’ombre d’un harcèlement incessant ; celui du bruit des moteurs, des annonces étatiques, celui aussi des petites hiérarchies sans vergogne qui exploitent la désespérance et la solitude de ces êtres plongés dans la solitude. Il n’y a dans ce monde ni demi-mesure ni respiration. Et c’est peut-être ce que l’on peut reprocher au naturalisme inquiet, direct mais presque inhumain du jeune réalisateur.
L’homme qui n’a pas vu l’homme ?
Tous les efforts semblent tourner, dans cette Tribu des fourmis, vers la recherche du cadre parfait et de la crudité parfois la plus abjecte. De dialogues très directs, trop écrits peut-être, en peintures remarquablement construites mais figées, l’art du tableau vivant perd justement de sa vivacité. La matérialisation des corps, des mouvements, des placements, paraît se penser comme une respiration culturelle ou sexuelle, mais le montage trop enchaîné réduit les personnages à des expressions sociales. Quand le désespoir a besoin d’autant de définitions et de démonstrations esthétiques, il se transforme en didactisme dont la frontalité frôle la complaisance. Nul doute que les intentions de Yang Huilong soient des plus honorables : ayant lui-même vécu dans ces quartiers déshérités, il colle à son ambiance poisseuse, de peur de paraître trop indulgent ou trop oublieux. Et, malgré quelques envols, le prosaïsme semble peu à peu s’automatiser, et laisse l’humanité déjà cloisonnée entre un espace insalubre et un échec professionnel certain à l’extérieur. Ce qui fait malheureusement de cette Tribu des fourmis un relatif échec militant.