Dénoncer le risque toujours présent de l’émergence d’une nouvelle dictature, c’est bien. Faire un film pédagogique sur les dangers d’adhérer sans s’en rendre compte à une idéologie ou à une autorité, c’est bien (mais c’est délicat). Réaliser La Vague tel que l’a fait Dennis Gansel, ça fait mal. S’appuyer sur des faits réels pour en faire une fiction, c’est ce que fait le cinéma depuis toujours, s’appuyer sur une phrase choc (« Alors comme ça, vous croyez qu’une nouvelle dictature est impossible… ?») et sur le souvenir du nazisme pour vendre un film, ça énerve, bonne cause ou pas.
Mais reprenons depuis le début. Nous sommes dans un lycée en Allemagne, de nos jours. C’est la semaine thématique annuelle, avec au choix : l’anarchie ou l’autocratie. Le premier est un thème cher à l’adolescence mais suivi par un vieux professeur ronflant. Le second est jugé rebattu, mais avec Rainer Wenger (Jürgen Vogel), le jeune prof qui s’habille en cuir, qui écoute du punk et que tous les élèves adorent, il fait salle comble. Ce prof, dont la « coolitude » va jusqu’à vivre sur une péniche, est vexé de s’être fait piquer l’anarchie par son collègue. Il cherche à rendre vivante cette semaine thématique, ce qu’il réussit parfaitement en perdant le contrôle du mouvement fasciste qu’il crée en quelques jours, même si ce dernier ne repose sur rien d’autre que l’obsession de devenir un groupe fort. Pas d’idéologie, pas de minorité à rejeter, seulement les Autres. Dennis Gansel ne voudrait quand même pas faire polémique.
Tiré d’un roman à succès de Todd Strasser, dont on dit dans le dossier de presse qu’il est toujours au programme de nombreuses écoles allemandes, le film repart de la première source : une expérience menée en 1967 par un professeur d’histoire, Ron Jones, à Palo Alto, avec grosso modo la même dégénérescence que dans le film, les scènes chocs et les pirouettes scénaristiques en moins. Dennis Gansel est bien aimable de nous avertir du danger qui guette nos sociétés modernes. Méfiance aussi face à certains professeurs déviants, ils pourraient se révéler de dangereux leaders… Mais un film comme La Vague n’est d’aucune efficacité. Ou plutôt son efficacité esthétique tue son efficacité morale. On pourrait faire une longue liste pour trouver la transition la plus rock, le mouvement de caméra le plus rapide pour passer d’un élève à un autre, les plans les plus courts et – plus dur – les plans les plus longs. Dennis Gansel est comme son personnage, il ne veut pas ennuyer, et effectivement certains risquent d’aimer ça.
Mais le message, disons l’intention, n’apparaît pas, ou si peu dans le film. Les personnages sont les premiers touchés, avec ce superbe réservoir qu’est une classe de lycée. Le couple de beaux, bien sûr, dont l’histoire d’amour sera mise en danger, les rebelles débraillés qui s’opposent avant d’être absorbés, une ribambelle de caractères mous qui forment le troupeau, et l’inévitable trop faible (à l’histoire familiale compliquée) qui trouve un sens à sa vie et devient fou (Frederick Lau, convaincant comme tous les acteurs du film). Et si on objectait qu’on retrouve ces types dans toutes les écoles, on rétorquerait que la fiction ne peut copier tout à fait le réel : elle y perdrait toute crédibilité. Sur ces personnages pas très fins, Gansel pose sa mise en scène pas très fine. Plans au couteau et montage rythmique sur les mouvements coordonnés des élèves, raccords façon clip, tremblements et zooms de rigueur, dialogues qui fusent, phrases clés sur actions chocs… La respiration du spectateur est calée sur celle de son prof Gansel. Il a intérêt à adhérer, et que celui qui pouffe devant le salut du groupe rappelant vaguement le « Ça farte ?» de Jean Dujardin soit roué de coups.
Certaines idées malines énervent autrement que l’ensemble déjà décrit : c’est le cas du jeu sur l’ambivalence du prof, devenu leader avec sa chemise blanche pour uniforme. Plus les élèves dérapent, comme son couple, plus le doute éclot que le bien fondé de son action initiale (montrer aux jeunes que glisser dans une dictature peut arriver à tout moment) laisse peut-être place à un goût immodéré pour le pouvoir et la discipline scolaire. La Vague brade ainsi régulièrement son but affiché contre un peu de souffle à son récit, il y a là de l’obscénité. Vers la fin du film, il ne reste même plus qu’une question : le prof est-il vraiment devenu un tyran ? Après quelques retournements de situation, le film retombe sur ses pattes en une fin bien consensuelle et dramatique, sans même laisser d’ambiguïté, histoire de revenir à sa bonne intention et de laisser le spectateur effrayé. Il aurait en tout cas intérêt.