Si les suceurs de sang ont le vent en poupe ces dernières années, le réalisateur allemand Dennis Gansel offre aux créatures de la nuit un lifting bling-bling. Délaissant le teint pâle et les tombeaux poussiéreux, les vampires germaniques errent de rave en discothèque, conduisent des bolides et sont juchés sur des talons vertigineux. Car la trouvaille de Nous sommes la nuit réside dans le choix de ses protagonistes : un quatuor féminin ultra-sexy digne des unes de FHM. Vous avez dit mythique ?
Dans une banlieue sordide de Berlin, Lena vivote grâce à des escroqueries de bas étage. Sans avenir, terriblement seule, elle zone dans les soirées underground de la capitale à la recherche de victimes à dépouiller. Une nuit, elle rencontre la patronne d’une boîte, la bombe blonde Louise, qui la malmène quelque peu. Choquée, Lena rentre chez elle, mais dans la nuit, elle est prise de spasmes violents. Alors que son comportement se modifie, elle décide de retrouver Louise pour comprendre. Celle-ci lui apprend alors que sa vie humaine est révolue et qu’elle appartient désormais à la race supérieure des vampires. Comme transfigurée, Lena apprend les rudiments de sa nouvelle non-existence, grâce aux conseils de Louise et de ses deux amies, la gothique Charlotte et la punkette Nora. Terminées les fins de mois difficiles et les vieilles frusques démodées. La clique vampirique consomme le luxe et le sang à part égale.
Hybridation décomplexée entre le mythe transylvanien ancestral et l’ultra-consumérisme contemporain, Nous sommes la nuit tente un rajeunissement de la figure du vampire. Visant une clientèle « jeune et jolie » qui s’abreuve à Gossip Girl, le film ne se contente pas de teaser son public grâce à des bellâtres immortels dont les filles seraient amoureuses mais au contraire cherche à leur offrir une projection rarissime dans le film de genre, celle d’être l’héroïne (et pas seulement la victime). Malheureusement, en cherchant à plaire à ces spectatrices, Nous sommes la nuit égrène les clichés les plus éculés sur le sexe faible. Frivoles, dépensières, accros au shopping, rien n’est épargné à la gent féminine. Les femmes seules survivantes de leur race (les hommes, créatures trop stupides, ont été éradiqués) ne brillent guère par leur intelligence dans la vision de Gansel, rejouant caricaturalement la partition masculine (les grosses voitures, une sexualité débridée basée sur la séduction à coups de mini-jupes et de décolletés plongeants). Voulant s’extirper du film de mec, Nous sommes la nuit ne dévoile finalement que des femmes esclaves des clichés masculins, qui ne s’en libèrent jamais.
Toutefois, si la morale de l’histoire n’est guère flatteuse quant à l’émancipation féministe des diktats phallocrates, le film parvient à créer quelques beaux moments de cinéma, entre effroi et fascination. La séquence d’ouverture, dans un avion en est un des meilleurs exemples. Revenant d’une séance de shopping à l’étranger, les demoiselles, prises d’une petite faim, déciment les passagers dans une frénésie et une violence éprouvante. La dimension érotique (intrinsèque au vampire) trouve ici un écho. La plastique des actrices, leur appétit agressif, le sang qui glisse sur un collier de perles, entre sauvagerie et raffinement, tout concourt à mettre en scène une vision novatrice et pourtant parfaitement fidèle au mythe vampirique. Une autre scène, celle de la piscine, malgré un puritanisme dommageable (certainement dû au succès Twilight qui a éradiqué la verve sexuelle des films de vampires), tire aussi son épingle du jeu, tant par le symbolisme du lieu (un parc aquatique berlinois désaffecté qui évoque la vie apparente mais la morbidité implicite des personnages) que par la situation (la femme comme piège fatal).
Artificielles et clinquantes, telles sont les vampires de Nous sommes la nuit, loin du mythe de Bram Stoker mais farouchement contemporaines. À tout prendre, les harpies dévergondées de Gansel restent largement plus fréquentables que les midinettes fades et fleur bleue de Stephenie Meyer.