Le titre de ce documentaire arrangé comme une fiction (à tel point que certaines scènes ont de toute évidence été jouées ou rejouées) énumère trois sujets, mais c’est sur le dernier – « moi » – que le film se montre le plus lucide et éclairant – à défaut d’en livrer une réflexion approfondie. Namir Abdel Messeeh livre ici l’enregistrement légèrement mais ouvertement arrangé d’un périple en trois temps, mise en abyme de ses galères de réalisateur débutant où il se filme en train de filmer – du moins d’essayer. Franco-Égyptien issu d’une famille de confession copte, son « moi » filmé se lance dans un documentaire produit par un certain Grégoire (dont on ne connaîtra que la voix off) et tourné en Égypte, prenant pour sujet la ferveur des chrétiens et des musulmans de ce pays autour d’apparitions de la Vierge Marie. Seulement, son propre scepticisme lui fermant les portes des conversations avec des croyants inflexibles, il décide bientôt de bifurquer vers ses propres racines en s’immisçant, lui et sa caméra, auprès de sa famille non émigrée et paysanne, au grand dam de sa mère qui refuse violemment ce voyeurisme. Cette diversion du sujet initial achevant d’user la patience du fameux Grégoire, il finit par solliciter sa mère à la production d’un film qu’il tâche de faire aboutir dans une direction encore différente, mais tâchant de concilier les deux précédentes : la reconstitution fictionnelle d’une apparition de la Vierge, avec le concours de sa famille et des voisins de toutes confessions.
Autoportrait en intrus
On peut dire que l’accomplissement de cette ultime entreprise apporte enfin un élément tangible au sujet que le réalisateur s’est fixé au départ. Au-delà du rapport entre foi et scepticisme, entre réel et fiction, l’image fabriquée d’apparition mariale finit par reproduire la ferveur dans le regard des spectateurs filmés dans ce documentaire, ferveur à laquelle a sans doute contribué leur propre implication dans le tournage de cette illusion. Cependant, on ne peut s’empêcher de penser que cette conclusion n’est pas vraiment l’objectif de La Vierge, les Coptes et moi, mais plutôt la dernière étape d’une narration à portée moins générale, plus autocentrée. Car, entre un autoportrait en documentariste s’imposant un sujet tel un devoir d’études, puis en filmeur intrusif en quête de ses racines au mépris de la pudeur de ses proches, enfin en réalisateur si désireux de boucler son film qu’il change de braquet en troquant le documentaire pour la fiction et en embauchant tout le monde gratuitement, le tout commenté par sa propre voix off soumettant tout à son commentaire omniscient, il faut se rendre à l’évidence. Avant de s’intéresser au choc des cultures et des croyances, ou au rapport entre cinéma du réel et cinéma de fiction, Namir Abdel Messeeh – le filmeur et le filmé – s’intéresse surtout à lui-même : à ses préconceptions sur le monde, à son désir d’acquérir coûte que coûte le statut de réalisateur en finissant un film, à son égocentrisme qui le pousse à ignorer les objections des autres.
Un tel narcissisme, appliqué à un film de bric et de broc et semblant être sa propre et exclusive raison d’être (soit un film qui n’existerait que pour être là, pour attester de la présence de son auteur), a bien sûr tout pour devenir rapidement pénible – même en ayant la malice de s’afficher en se mettant lui-même en abyme. Cependant, Abdel Messeeh rend son autocentrisme pertinent en n’occultant pas, en contrepoint, les témoignages extérieurs parfois violents face à son attitude, bridant ainsi la tentation de la complaisance. S’il a bien tendance à se regarder le nombril, les autres, tous conscients de la valeur de leur image (même les paysans chez qui il débarque avec son assurance bourgeoise), sont là pour lui faire comprendre que ce nombril n’est pas très propre. Un petit dialogue en voix off dans le générique de fin (concernant la récente révolution égyptienne) résume avec humour ce qui fait la valeur de La Vierge, les Coptes et moi : l’autoportrait d’un filmeur si obnubilé par son acte qu’il se met des œillères vis-à-vis du monde. Soit l’œuvre d’un jeune cinéaste se filmant en réalisateur auquel il manquerait l’essentiel – le rapport au monde – pour être un cinéaste.