Le titre français qui tend ostensiblement vers L.A. Confidential de James Ellroy explicite bien la démarche du réalisateur suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh : circonscrire le territoire d’une ville en proie à une corruption endémique qui atteint les corps et les âmes. Le Caire confidentiel s’appuie sur un bon pitch. Le fait de mêler la petite histoire – un crime de sang à résoudre par un enquêteur dépressif – à la grande – la révolution égyptienne de janvier 2011 qui couve puis éclate – aurait pu donner un grand polar.
Fulgurances
Le Caire Confidentiel a ses fulgurances. La belle photographie donne aux nuits cairotes une étonnante lumière ocre. Le blouson en cuir que porte en permanence le héros contraste autant qu’il reflète cette fausse obscurité. Les heures nocturnes sont filmées comme un jour permanent où le vrai noir ne pourrait jamais s’installer. Le procédé crée une tension intéressante en donnant l’impression que les protagonistes du film ne peuvent pas avoir de moments de repos.
Au niveau de la pure mise en scène, certaines séquences sont d’une puissance étonnante. Lors d’une traversée en voiture de police d’une avenue commerçante, la caméra calée sur le siège arrière capte le système de la corruption généralisée à l’œuvre durant la fin de règne d’Hosni Moubarak. Les débiteurs défilent à la fenêtre du véhicule en tendant une enveloppe remplie d’argent ou en s’excusant de ne pas pouvoir la donner. Les bakchichs sont la règle. L’État a visiblement oublié l’intérêt général pour appliquer une plus rémunératrice loi du plus fort. La séquence en question a presque l’électricité d’une déambulation du Taxi Driver de Scorsese. La vue depuis l’intérieur de l’habitacle joue sur le statut de témoin. La distance mise par rapport à l’extérieur urbain renforce la sensation de danger qui en émane.
Émotion
La rencontre du héros avec une chanteuse aux airs de femme fatale est tout aussi réussie. L’usage du champ contre-champ est des plus classiques, mais pour une fois le réalisateur — qui vient du clip et a tendance à enchaîner les plans courts — s’accorde du temps, dilate à bon escient la durée des plans, ce qui permet de faire naître une véritable émotion. Cette séquence se distingue car c’est justement dans le registre de l’émotion que se situe la faiblesse la plus notable de Le Caire confidentiel. Le film a le plus grand mal à la générer ou à la maintenir. La manière dont est caractérisé le personnage principal en est responsable. L’acteur Fares Fares est bon, mais ce qu’il a à jouer est trop pauvre. Le flic ripou qu’il incarne — Noredin — traîne un mal être sur lequel le spectateur n’a pas de prise. L’enquêteur a perdu femme et enfant dans un accident, apprend-on en cours de route, mais le film ne tire de ce passé douloureux qu’une description assez plate d’un énième flic cassé par la vie.
Les polars reposent souvent sur la mélancolie des enquêteurs professionnels ou non du maintien de l’ordre qui servent de guides à ces films. Ces héros détruits happent le regard par leurs criantes aspérités. Il ne s’agit pas de faire de la folie pure de Bad Lieutenant une règle absolue à suivre, mais tour à tour aimer puis détester celui dont on suit les pas aide à se sentir inclus dans la noirceur du récit qui est proposé. Dans Le Caire confidentiel, ce côté excessif est totalement absent. Tout humour est par exemple banni, tout est premier degré, même la chair y est triste. Il manque une fièvre, un sentiment d’urgence. Appelé à la rescousse, le montage essaie maladroitement de récréer en insérant des scènes de circulation urbaine vidées de tout personnage, bien trop illustratives pour ne pas paraître superflues. L’enquête à résoudre n’aide pas à l’affaire car sans grand suspense. Le coupable du crime est connu dès les premières minutes. Le nom du commanditaire apparaît un enjeu faible tant on sait très vite qu’il appartient de près ou de loin aux cercles du pouvoir.
Opportunisme
Sans idée directrice autre que l’adhésion à un genre prédéfini, le film se retrouve piégé, empesé par des codes du film noir qu’il empile sans arriver à les transcender, les décaler ou les incarner. Comme un symbole, le héros enchaîne cigarette sur cigarette, ce qui souligne son spleen façon Stabilo, et renvoie sans doute à ce que dans l’esprit du réalisateur un détective de cinéma digne de ce nom doit faire.
Ce qui est dommage, c’est qu’au bout du compte le film se rigidifie dans une posture, avec des plans très calculés, et manque ce qui devrait être son cœur vibrant : la description d’une Égypte en crise et l’importance de la révolution de janvier 2011. Le rapport final à cet épisode marquant de l’histoire récente paraît artificiel — quelques vignettes disséminées çà et là — et semble finalement tenir de l’opportunisme, ou tout au moins d’une fausse bonne idée qui, oui, fait un pitch alléchant mais produit en fin de parcours un film ennuyeux.