Y a‑t-il un quelconque intérêt à aller voir ce Ring 2 américain ? A priori, oui. Sur le papier, ce film est bien plus que la simple suite d’un film d’horreur à succès. Au Japon, la série des Ringu est un phénomène : autour de l’histoire d’une cassette vidéo maudite qui tue tous ceux qui ont le malheur de la regarder, le réalisateur Hideo Nakata a bâti un univers dérangeant aux multiples degrés de lecture. Scénario habile, mise en scène élégante, thématiques récurrentes : tant sur le plan formel que sur le fond, le cinéma de Nakata est passionnant. Si on ajoute à ces films son chef d’œuvre, Dark Water, la boucle est bouclée : le réalisateur ressasse ses obsessions (figures maternelles protectrices ou destructrices, sens du sacrifice, infanticides, l’eau vecteur de vie ou de mort) et construit de bout en bout une œuvre extrêmement personnelle.
Il y a trois ans, le réalisateur américain Gore Verbinski signait un remake du premier Ring, pillant sans vergogne les ambiances visuelles des films de Dario Argento et confiant le rôle principal à Naomi Watts, héroïne du Mulholland Drive de David Lynch. Générant un véritable culte aux États-Unis, le film appelait une suite. Démissionnaire, Verbinski laisse sa place, non sans ironie, à Hideo Nakata, séduit par l’idée que ce Ring 2 américain ne serait pas un remake de son propre Ring 2 japonais et bénéficierait d’un scénario totalement original.
La curiosité vient évidemment de là. Il y a quelque chose de fascinant, qui touche à l’essence même de ce qu’est le cinéma, dans l’idée de reprendre une histoire depuis le début et de lui faire prendre une autre direction. Après un départ bâclé qui expédie en cinq minutes ce que le premier Ring mettait deux heures à démontrer, Hideo Nakata abandonne l’histoire de la cassette maudite pour raconter sa version, beaucoup plus dérangeante, des liens qui unissent la mère et son fils.
Cette belle tentative de subversion échoue malheureusement la plupart du temps. S’il est appréciable de voir Nakata privilégier la prise de risques aux vieilles ficelles du film d’horreur (malgré quelques scènes d’angoisse réellement réussies, comme celle où les héros sont attaqués par un troupeau de cerfs), on le sent freiné par un scénario bêtement explicatif.
Au milieu de tout ce fatras, Hideo Nakata s’accroche, et parvient parfois à faire passer une double lecture de son histoire, tellement subversive que les producteurs ne l’ont probablement pas décodée. Couple se suffisant à lui-même, la mère et son fils (qui l’appelle par son prénom) ne supportent pas l’intrusion d’une tierce personne dans leur univers. L’esprit vengeur qui les pourchasse prendra possession du corps de l’enfant et pour s’en débarrasser, la mère devra noyer son fils pour lui redonner la vie, avant de poursuivre le monstre jusque dans son antre, un puits profond à la symbolique évidente, dont elle s’extraira pour renaître à son tour. Dans Dark Water, pour sauver sa fille, l’héroïne allait se noyer pour ne jamais revenir. Ici, film à gros budget oblige, Naomi Watts sort vainqueur de ce combat contre le mal et contre elle-même, se fendant même d’une réplique made in Hollywood franchement malvenue. Dans le cinéma yankee, qu’importe la manière : l’essentiel est d’arriver à ses fins. Il a beau être malin, Hideo Nakata ne sort pas indemne de cette triste expérience américaine.