Adapté d’une BD coréenne à succès, Le Grand Chef (le film hein, pas le livre de recettes) pourrait se définir comme une comédie dramatique historico-culinaire où les couteaux de cuisine ont remplacé les nunchaku… Cinéphiles ou gastronomes, si de tels ingrédients vous laissent dubitatifs, cherchez définitivement de quoi vous sustenter ailleurs. Carburant par endroits à hautes doses de grand n’importe quoi, ce film a tout du repas de famille dominical : interminable et indigeste.
Avouons-le : résumer Le Grand Chef a tout du casse-tête chinois, tout coréen qu’il est. Jetons-nous malgré tout à l’eau (bouillante de préférence). Prenez tout d’abord deux jeunes champions de la gastronomie locale : Sung-chan, joli cœur d’une douceur d’agneau à lui donner le Bouddha sans confession, et Bong-joo, rustre un peu grassouillet à l’ambition dévorante. Tous deux élèves dans une prestigieuse institution gastronomique, les voilà en lice pour prendre la tête du-dit restaurant. Le plat devant les départager – un sashimi préparé à base de fugu, ou poisson-lune – tourne malheureusement au drame. Hautement toxique, si mal préparé, ce poisson peut devenir poison fulgurant. Pas de bol (… de riz), c’est exactement ce qu’expérimente, la bave aux lèvres, le vénérable jury attablé devant nos deux rivaux. Accusé du méfait, Sung-chan tire alors un trait sur ses talents prodigieux et, la mort dans l’âme, la larme à l’œil, s’en retourne dans sa campagne natale.
Ellipse. Cinq ans ont passé. Une prestigieuse compétition gastronomique se profile, censée désigner le digne héritier du mythique Grand Chef d’une ancienne dynastie royale. Par un heureux hasard, le chemin de Sung-chan croise celui d’une jeune journaliste intrépide qui le persuade d’y participer. Forcément, Bong-joo, son adversaire de toujours, est inscrit au concours – que dire, à ce gigantesque show culinaire télévisé étalé sur plusieurs jours (voire semaines, au vu des innombrables épreuves servies à l’écran). L’honneur de chacun étant sur le grill, l’enjeu de cette Nouvelle Star des fourneaux sud-coréens est assurément de taille. Mais qui donc remportera l’illustre couteau brisé du fameux Grand Chef, ce maître ès soupe de bœuf qui sacrifia sa main droite pour ne pas faiblir devant l’invasion japonaise ? Sung-chan Lignac ou Bong-joo Ducasse ?
On l’aura compris, l’intrigue du Grand Chef a rapidement peiné à nous tenir en haleine malgré ses péripéties en cascades et ses split-screens gastronomiques. La faute, entre autres, à un maelström scénaristique parsemé de flash-backs noir et blanc, voire sépia, et disons globalement… obscurs. Cerise sur le gyeongdan : qu’il soit larmoyant ou plus enjoué, un nappage musical vient systématiquement agrémenter la plupart des séquences. « Effet wasabi » garanti… Quant à savoir si Le Grand Chef a tout de même pu nous mettre en appétit, l’épreuve finale de découpe de carcasses bovines nous a vite fait oublier les prouesses décoratives des plats aux mille couleurs présentés jusqu’ici.
What else ? Transposés sur pellicule, la plupart des personnages du Grand Chef semblent cruellement manquer de crédibilité. Comme si l’humanisation de ces personnages de papier avait sacrément mal tourné. Notons que les plus piteux exemples de cette mayonnaise ratée prennent principalement chair dans le rang des personnages secondaires : voisine hystérique et grossière menant à la baguette son benêt de mari à coups de truelle de jardin, sous-fifre décérébré à la recherche du temps perdu via une recette de nouilles instantanées. Sans vous parler d’un charbonnier psychopathe amateur de patates douces ! Ça pourrait être drôle ou touchant, mais c’est tout simplement… sans intérêt. Précisons tout de même que Lee Ha-na, l’actrice interprétant la jeune journaliste éprise de Sung-chan, a le mérite de sauver les meubles rayon interprétation. Il n’empêche, sur l’ensemble, les prestations sont davantage dignes d’une série TV passablement cheap. Épargnons toutefois le personnage du grand-père, qui réussit, par sa folie et son corps désarticulé de vieillard, à donner corps au leitmotiv avorté du film : « faire palpiter non pas le palais, mais le cœur ».
Finalement, bien que cinéma et cuisine promettent souvent le plus heureux des mariages, surtout en contrées asiatiques (voir le récent Still Walking du Japonais Kore-eda), on se demande si Le Grand Chef n’aurait pas mieux fait d’en rester à la case BD. Ou alors, les ayants-droit auraient peut-être dû opter pour l’animation, sans doute plus à même de coller avec l’esprit probablement éclectique du manhwa original… Et si la nourriture filmée dans Le Grand Chef est révélatrice ou symptomatique de bien peu de choses (si ce n’est le rapport à la famille et à la mort), elle met bizarrement le doigt sur une fibre nationaliste un brin douteuse… Suspicion toute personnelle à prendre avec des pincettes.