Adapté du roman homonyme, mais destiné aux adultes, Le Jour des corneilles adapte le récit de Jean-François Beauchemin au jeune public sans en perdre les nuances. Le film d’animation français donne à la quête d’amour du fils Courge, héros échevelé, des atours de conte saisissants, mais n’affirme pas jusqu’au bout la singularité de son traitement.
Élevé par une marmotte dès les premiers jours de son existence, on devinera que le fils Courge n’a pas eu une enfance facile. Son père, plus proche de l’ogre que du modèle affectif, lui mène la vie dure au cœur d’une forêt à la fois refuge et prison. Parfois, l’enfant sans prénom aperçoit sa mère morte en le mettant au monde, dans des visions oniriques mais légèrement inquiétantes. Sur ce drame plutôt chargé, l’animation vive et soignée diffuse une lumière parfaitement répartie dans des décors impressionnistes. Le fils Courge sort des sentiers battus par la majorité des héros de films d’animation : aventureux au risque d’être cruel, le petit sauvage fait les quatre cents coups et rapporte le dîner, des oiseaux tués au lance-pierres. Le récit de Jean-François Beauchemin adoptait déjà le point de vue du petit sauvage, mais Le Jour des corneilles y ajoute un aspect visuel et sonore saisissant, particulièrement réussi quand le garçon parcourt la forêt. La musique de Simon Leclerc souligne la magie des lieux, termine le mélange de menace et de sérénité qui habite la première partie du récit, sorte de pendant naturel à celui des premières minutes de Wall-E.
La sortie de la forêt échange les silences de ces espaces infinis contre les décors, nettement moins audacieux, de la société « civilisée » : pour autant, les habitants d’une petite bourgade voisine s’avèrent bien caractérisés par un dessin aux traits marquants. La bluette avec la fille du docteur local, Marion, sous forme d’éducation réciproque (rats des villes et des champs échangent leurs astuces), se développe toutefois d’une manière attendue. Loin de ces situations rarement comiques, le propos du Jour des corneilles se trouve plutôt du côté de l’absence d’amour paternel, et d’une nécessaire émancipation sur lesquelles le long-métrage recentre vite son attention.
Car la solitude du fils Courge n’est pas totale : capable de communiquer avec l’outre-monde, celui des esprits anthropomorphes, le garçon s’assure également l’aide des animaux et la bienveillance de la nature tout entière. L’animation française se risque à l’animisme : « réincarnée » en biche, la figure maternelle apporte au long-métrage le merveilleux nécessaire pour l’adhésion au conte. Toutefois, les autres habitants de cet outre-monde s’éclipsent souvent trop vite : leurs apparitions s’apparentent finalement à un alibi esthétique convoquant sans en dépasser les contours la patte japonaise, en particulier Miyazaki. À force de retenues, Le Jour des corneilles manque de peu d’être marqué par une pierre blanche.