Nouvelle fournée de la prolifique compagnie Pixar, WALL‑E arrive à grand renfort de promotion tous azimuts et est précédé d’une réputation flatteuse, aussi bien critique que publique. Loin de manquer à ses promesses, le film dépasse toutes les attentes des aficionados du studio californien, au risque d’en désorienter quelques-uns. La cuvée 2008 pourrait bien marquer l’avènement d’une nouvelle ère du cinéma d’animation grand public. En mêlant magnificence technique, propos politique percutant, conscience écologique et dramatisation émouvante, WALL‑E se permet de titiller du bout de la pince des sommets jusque-là réservés aux maîtres nippons de l’animation, Miyazaki ou Satoshi Kon.
Nous sommes dans les environs du vingt-neuvième siècle après Jésus-Christ. La Terre n’est plus qu’un immense dépotoir à l’abandon, insalubre et désolé. À travers les gravats, un petit robot se démène, inlassablement. Il est l’unique survivant d’une armée de machines laissées sur Terre par les humains qui ont déserté la planète sept cents ans auparavant. Ces robots répondant au doux nom de WALL‑E ont été chargés de déblayer la terre de toutes ses immondices en les recyclant sous forme de cubes à empiler comme des Legos, rappelant les compressions hétéroclites de César Baldaccini (ou des monolithes kubrickiens pour les plus monomaniaques). En fin de cycle, les petits robots se sont éteints les uns après les autres, laissant le petit dernier s’occuper d’une tâche démesurée dont il se charge de manière stakhanoviste. Son entêtement pour la réalisation de sa mission n’a pas empêché WALL‑E de s’humaniser peu à peu, à ressentir des émotions et même de l’amitié pour un cafard ayant résisté à l’air vicié de ces derniers siècles. Fidèle en cela à la tradition Walt Disney, le film se pare d’abord de la ritournelle efficace du comportement simiesque de protagonistes non-humains. Mimant des gestes et des sentiments humanisés, le petit robot provoque l’affection et le rire. Il n’est d’ailleurs pas sans rappeler un autre petit androïde cinématographique ayant connu son heure de gloire dans les années 1980, sous le nom de Johnny Cinq et apparaissant dans le film Short Circuit. Si le procédé relève de la petite recette ritualisée, il n’en demeure pas moins hilarant et d’une finesse rarement atteinte dans la sphère Disney : la charge émotionnelle est à son comble quand le robot se met à contempler avec tendresse les objets qu’il doit empiler. Oubliant pour quelques instants sa tâche, il quitte le comportement mécanique pour s’émouvoir d’un Rubik’s Cube dont il a bien du mal à comprendre l’intérêt abscons. Le rire a pour référence des items symboliques de notre société contemporaine, il est nostalgique en regard d’un paradis perdu que l’être humain n’a pas réussi à conserver. L’ambition est ainsi revendiquée implicitement : il n’est pas question de simplement faire rire ou attendrir mais bien de développer un propos construit et revendicatif. Politique au plus haut point.
Politique et Walt Disney n’ont pas été des mots inconciliables au fil du vingtième siècle. On connaît le caractère peu modéré des opinions du patriarche et les références conservatrices récurrentes de sa filmographie. Il y a donc fort à parier que Walt doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe, constatant la prise d’assaut de la forteresse Disney par une équipe de jeunes créateurs réunis sous la bannière Pixar. Ceux-ci prennent le contre-pied total de la mythologie capitaliste et réactionnaire du père et développent un réquisitoire poétique mais aussi virulent envers la société de surconsommation. Ou comment le serpent se mord la queue : alors que l’Empire Disney a été aux avant-postes du capitalisme mondialisé et de ses outrances, il finit aujourd’hui par contester son propre modèle de développement, allant jusqu’à le renier par une parabole catastrophiste, sous couvert d’inoffensif divertissement populaire. WALL‑E est un film curieusement altermondialiste, surfant sur la mode écologiste mais ne se contentant pas de prêcher effrontément la responsabilité de chacun sur l’environnement : il accuse et met au pilori le système entier qui régit nos sociétés contemporaines, froides, déshumanisées et cyniques.
En réponse à cette mécanisation larvée, il est édifiant que ce soit un robot qui rééduque les humains à la beauté de la vie et surtout, de l’amour. Car WALL‑E n’est pas qu’un film d’anticipation politique, il est également un hymne à la redécouverte du potentiel censuré que l’Humanité recèle : la tendresse et la capacité d’aimer. C’est par l’entremise de la visite sur Terre d’un robot à la recherche de vie végétale (lancé par les humains en orbite dans l’espace, loin du caveau funeste qu’ils ont laissé sur Terre) que l’histoire se déploie en une comédie sentimentale inattendue. D’abord réticente et suspicieuse, EVE finit par s’amouracher de WALL‑E. Leur romance se concrétise par des scènes inoubliables, à l’instar d’un ballet dans l’espace dans lequel WALL‑E se démène avec un extincteur pour se propulser à hauteur de l’être aimé. À la fois pataud et attachant, le robot esquisse chez le spectateur un sourire complice et attendri devant ce qui révèle être l’une des plus enthousiasmantes aventures romanesques de ces dernières années.
Il va sans dire que la virtuosité technique des équipes Pixar a encore franchi un cap avec ce film. Les épopées des deux robots dans l’espace sont magistrales, le rendu graphique est celui d’un rêve qu’on n’oserait pas formuler. La capacité qu’ont ces artistes californiens de donner vie à de simples polygones enchevêtrés est d’une vigueur telle que l’on imagine mal le même film fait de chair et de sang atteindre une telle puissance formelle et théorique. La meilleure preuve de la qualité esthétique du film est son aptitude à se faire oublier, à se fondre sans ambiguïté avec la teneur du propos. À aucun moment, elle ne tire la couverture à elle : WALL‑E n’est pas qu’une performance technique. Et c’est bien là sa plus grande qualité.