Liliane de Kermadec, actrice chez Demy (Les Demoiselles de Rochefort), photographe de plateau chez Resnais (Muriel) ou Varda (Cléo de 5 à 7), et réalisatrice (Home Sweet Home, Aloïse, La Piste du télégraphe) réalise en 2005 La Très Chère Indépendance du Haut-Karabakh. Elle retourne ensuite dans cette région marquée par la guerre avec l’Azerbaïdjan, pour voir si on enseigne aux enfants l’oubli de la guerre ou la vengeance, et filme des entretiens avec des enfants et professeurs des écoles. Ne parvenant pas à financer la traduction et le montage d’un film, elle écrit une fiction, Le Murmure des ruines, tournée à Shushi.
En 2002, Liliane de Kermadec filme les élections présidentielles de la République du Haut-Karabakh, et réalise La Très Chère Indépendance du Haut-Karabakh. Très chère, car le Haut-Karabakh est une république autoproclamée (non reconnue par la communauté internationale) qui a déclaré son indépendance en 1991 lors de la chute de l’Union soviétique. La déclaration d’indépendance fut suivie d’une guerre avec l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabakh ayant été, sous l’URSS, intégré à la République socialiste d’Azerbaïdjan. Un cessez-le-feu est négocié en 1994. Pour Le Murmure des ruines, Liliane de Kermadec retourne sur ces lieux, et filme la ville de Shushi, ancienne capitale détruite par la guerre. Le film tente de saisir – et peut-être d’accompagner – la reconstruction d’une ville ruinée, et la difficulté, pour les habitants, de conserver la mémoire du passé sans faire de cette mémoire le lieu d’un blocage. Le « murmure » des ruines, ce sont ces voix du passé, cet ensemble de récits que chacun fait de la guerre, les traumatismes vécus, les faits de guerre glorieux ou drôles. Mais c’est aussi tout le présent qui se construit parmi ces ruines, et avec elles.
Liliane de Kermadec met en place un dispositif destiné à faire fonctionner ensemble la fiction et le documentaire : elle invente l’histoire d’un camion de farine qui se perd dans le Caucase, et que des habitants de Shushi décident de récupérer pour ouvrir une boulangerie. Les acteurs, tous habitants de Shushi, intègrent cette histoire à leur existence. Mais la réalisatrice ne parvient pas vraiment à tirer parti de ce dispositif, les « acteurs » donnant souvent l’impression de réciter leur texte, presque gênés par la présence par la caméra. Le film parvient à miner le pathos par de nombreux instants comiques, mais les ficelles sont toujours visibles, et l’écriture assez maladroite. Grâce à ce camion de farine, Zoya, qui ne parvient pas à oublier son époux disparu à la guerre, rencontre Soghomon, réfugié comme elle de Bakou, mais capable d’aller de l’avant – de construire sur les ruines, comme le montre sa maison. Ratchik, orphelin, se crée une famille, en même temps qu’il grandit et cherche à comprendre ce qu’est l’amour (et l’histoire de Zoya et Soghomon est là pour l’aider à comprendre, de même que lui, par ses questions, les aide à avancer), ce qu’est une idée (et l’« idée » d’ouvrir une boulangerie l’aidera à comprendre, de même que ses questions aident en retour les adultes). Il y a, dans l’ensemble, une tonalité didactique qui alourdit le film, et un sentiment de longueur s’installe assez rapidement.