Depuis que sa mère a décidé de fuir les affrontements interminables qui ensanglantent la Tchétchénie, Ramasan coule des jours modestes mais plutôt heureux dans une banlieue autrichienne. De convocations administratives pour obtenir des papiers réguliers en rencontres plus ou moins hasardeuses, Ramasan grandit en découvrant la déception et la violence prête à exploser de ses congénères.
De la vitalité à la violence, il n’y a qu’un pas. Sans déterminisme marqué ni insistance dans la représentation des démunis, Sudabeh Mortezai ‑dont c’est le premier film sorti en France- sait trouver des images justes dans leur simplicité et leur point de vue pour dépeindre l’enfance cabossée de son personnage. Ramasan est l’homme de la famille : plus jeune que l’une de ses sœurs, il est pourtant le pilier, maître de la langue (il fait les démarches administratives pour sa mère) et du geste (il surveille ses sœurs comme il organise leurs sorties). En quelques mots : il remplace le père, héros que l’on comprend rapidement fictif d’une guerre perdue entre la Géorgie et la Russie. Ramasan ne connaît ni son père ni son pays d’origine. La mythologie familiale, créée visiblement de toutes pièces, s’effondre brique par brique : la grande humilité de la réalisatrice face à son sujet est justement de n’en amplifier ni la chute ni ses conséquences.
De l’autre côté du grillage
Par petites touches donc, Sudabeh Mortezai construit son décor : on ne saura jamais où est exactement cette banlieue anonyme dans les faubourgs d’une ville autrichienne ; on ne connaîtra pas non plus le fin mot de l’histoire personnelle de la famille de Ramasan. Mais, peu à peu, s’insinue davantage qu’un substrat social habituel dans la représentation cinématographique des réfugiés en Europe. Il y a dans cet espace symbolique autant de vivacité que d’aphasie, de joie de vivre que de mauvaises influences. Ce qui manque finalement au monde de Ramasan, c’est la confrontation avec le monde extérieur : elle ne se fait que par obligation ou par fortuité. La cinéaste développe une sensibilité de fait qui met sur un pied d’égalité les êtres et leurs souffrances de ce village d’immeubles dont on ne sort que par des portes dérobées ou des trous de grillage. La perte progressive de l’innocence de Ramasan est finalement du même ordre que l’instinct polarisé de sa mère, partagée entre le désespoir de la survie et la renaissance timide occasionnée par la rencontre d’un autre réfugié. Si l’âge change le regard, les actes et les découvertes, il n’altère ni la jalousie sociale ni le désir de dépassement. Sans effets, sans lourdeur théorique, Le Petit Homme filme la déception de personnages qui, bien qu’installés et acceptés sur leur espace, sont en perpétuelle quête d’ailleurs.