Sous le signe du soleil du Mezzogiorno, de la pasta et de la dolce vita, une histoire de coming-out tourne mal. Pas plus que ce film complètement tarte et aveugle. Ferzan Özpetek, un multirécidiviste (La Fenêtre d’en face, Saturno Contro, Un Giorno Perfetto…), a encore frappé !
À chaque nation sa spécialité culinaire, et le troupeau sera bien gardé : haggis écossais, phô du Vietnam, fesenjun iranien, goulasch de Hongrie… Sauf qu’à l’image de notre monde multipolaire, l’épreuve du réel est facteur de complexification, de glissement, de déplacement, ainsi le net recul en France de la cuisine au beurre au profit de celle à l’huile d’olive. L’Italie est à ce sujet le théâtre d’un dilemme inextricable : pizza ou pâtes ? Filmer, mettre en scène, c’est choisir ; Ferzan Özpetek n’a pas coupé la poire en deux : des pâtes, des pâtes, oui mais des… Cantone. Cette famille de notables de la ville de Lecce est propriétaire de la fabrique de pâtes du même nom, où bat le cœur de la fratrie. Si la pâte se situe finalement à la périphérie du récit, elle en est le cœur esthétique. Il faut particulièrement détourner le regard vers le film publicitaire Barilla, Terrazza Romana (1993), où le toujours très sobre Ridley Scott dirigeait un Gérard Depardieu très à son aise dans le lâcher de spaghetti dans la marmite d’eau bouillante. On peut tout à fait penser que Ferzan Özpetek est reparti de là : le vent doux et chaud, les lumières dorées et la bande son qui fait craindre l’invasion imminente d’une horde de criquets tueurs. C’est précisément dans quoi baigne une scène d’ouverture où une mariée traverse une oliveraie (il faudrait aussi revoir les pubs Carapelli…) avant de grimper dans une tour afin de retrouver un gars qui n’est visiblement pas son mari. Ce flash-back inaugural annonce que chez les Cantone, il y a autant de secrets que de variétés de pâtes (à ce qu’on dit, près de 300 !), autant dire que ça se bouscule.
L’un de ces secrets, le prétexte du film, est que Tommaso veut profiter d’un grand raout familial pour faire son coming-out, révéler son homosexualité. Il se rêve écrivain, c’est un jeune homme à fleur de peau qui a quitté sa province natale pour la capitale afin d’y faire ses humanités et non la fac d’éco. Sauf que le frère aîné, Antonio, est aussi de la jaquette et le précède dans sa révélation. Le père avale ses tortiglioni de travers et nous fait un malaise cardiaque. Le frangin indigne étant banni, l’avenir de l’affaire familiale florissante repose sur le dos de Tommaso. Décidant de jouer le jeu pour épargner le paternel, il se voit associé à Alba (rien à voir cette fois avec la marque de papier aluminium), une pulpeuse jeune femme qui ne tarde pas à lui faire les yeux doux. S’engage entre les deux comédiens, Riccardo Scarmarcio (Tommaso) et Nicole Grimaudo (Alba), un concours de minauderies qui pourrait être amusant s’il s’avérait (beaucoup) plus court. De cafouillages en malentendus foireux, le récit avance, et quand le filon s’épuise : relance générale du schéma actantiel avec débarquement des copains homos romains de Tommaso ; c’est-à-dire des follasses (à part son petit ami, bougon comme pas deux) qui aiment chanter, se dandiner et porter des camisettes moulantes. Ajoutons que plier et replier ces mêmes vêtements en jactant – la scène est totalement ahurissante – est leur étrange passe-temps favori.
Outre la citation de la publicité Barilla, Le Premier qui l’a dit obéit rigoureusement à deux étranges principes esthétiques. Si les personnages sont statiques (et l’on est souvent à table), la caméra va décrire d’invraisemblables arabesques à grands renforts de travellings tarabiscotés. Et quand on discute et s’anime devant l’objectif, le cadre tend à une relative fixité. Tout ceci s’avère nerveusement épuisant. Émettons l’hypothèse que tant de systématisme est sans doute lié à un pari conclu par Ferzan Özpetek un soir d’orgie de farfalle, ce qui expliquerait le choix de placer ce récit dans le milieu de la pâte. Mais au-delà de la grande faiblesse de ce puissant navet, il est difficile de retenir autre chose que son absence de regard sur la société, véritable angle mort d’un film coupé d’un monde et d’un réel qu’il prétend évoquer. La lourdeur de la réalisation semble l’éloigner irrémédiablement de son sujet, à tel point qu’une force normative parcourt le métrage. L’une des dynamiques du récit n’est-elle point l’hypothèse d’une rédemption de Tommaso ? c’est-à-dire qu’il vire hétéro… Le cinéma italien étant sinistré, ce n’est pas le seul, quant à la représentation de l’homosexualité, cette proposition de comédie populaire à ce sujet était donc d’autant plus intrigante. Il aurait sans doute fallu commencer par donner les manettes à un autre réalisateur. On pense notamment à Gianni Zanasi, dont l’acuité du regard n’aurait été de trop ici, il l’avait démontré avec Ciao Stefano (2007), habile comédie familiale, à l’écoute du réel et de son temps ; tout le contraire du Premier qui l’a dit qui sombre de la plus piètre des façons.