Éric Barbier a commencé sa carrière cinématographique avec Le Brasier (1990), film au budget important qui se révèlera un échec. Dix ans plus tard, Toreros connaîtra sensiblement le même accueil. Pourtant, Éric Barbier a du talent, et ce parcours semble avoir décuplé son envie de cinéma, qui trouve enfin sa pleine mesure avec Le Serpent. Film de harcèlement opposant Yvan Attal (le photographe Vincent Mandel) à Clovis Cornillac (son camarade de classe Plender), Le Serpent est un film abouti, une sorte de thriller très stylisé qui porte indéniablement la patte de son auteur. Le caractère machiavélique du scénario, la qualité des personnages et l’ambiance glacée dans laquelle baigne le film permettent au spectateur de se plonger dans un vrai bon thriller psychologique.
Le premier atout du film de Barbier est sans doute son scénario. Sans mystère, sans méandres plongeant le héros dans des situations inextricables, sans suspense et sans cruauté, pas de thriller digne de ce nom. Le Serpent appartient en fait à la catégorie encore plus restreinte des films de harcèlement, impliquant un bourreau et une victime. La victime, Vincent Mandel, est photographe. Barbier installe d’emblée son personnage dans la tourmente, puisqu’il est en instance de divorce et qu’il se dispute avec sa femme pour la garde de ses enfants. Mandel est un personnage profondément humain, un homme ordinaire qui va se retrouver confronté à des situations extrêmes. Dans l’une des premières scènes du film, il laisse s’envoler par mégarde l’oiseau de la maison. Il se dépêche donc d’aller en acheter un autre et lui met un peu de peinture pour faire croire qu’il s’agit du même. Profondément attaché à sa famille, ses enfants seront pour lui à la fois la source de son inquiétude et sa raison de se battre.
En face de lui, son adversaire n’en est pas moins traité avec autant d’attention. Ancien camarade de classe de Vincent devenu légionnaire, Plender resurgit dans la vie de son ancien ami. Plender est tout de suite identifié comme un personnage peu recommandable. Barbier prend le temps de nous présenter ses petites magouilles, consistant à faire chanter des notables à l’aide de photos compromettantes. Il utilise bientôt ce stratagème contre Vincent, de manière à le décrédibiliser auprès de la juge qui s’occupe de son divorce. Le piège est lancé, et toute l’intelligence du scénario de Barbier est de lancer deux lignes directrices, que sont le parcours de Vincent qui doit se défendre et essayer de se sortir des griffes de Plender, ainsi que la découverte progressive du secret de Plender, les raisons pour lesquelles il tente par tous les moyens de détruire la vie de Vincent. En installant les deux personnages et en prenant le temps (deux heures) de dérouler les différentes circonvolutions de son scénario, Barbier parvient à maintenir l’attention du spectateur en lui donnant envie de suivre au fur et à mesure le sort des deux personnages. On notera ici et là quelques incohérences et un rythme parfois inégal, mais dans l’ensemble, Le Serpent remplit toutes ses promesses de suspense et de tension.
Autre réussite principale du film, son ambiance glacée, son esthétique sombre et très travaillée en font un film qui reste imprimé sur la rétine. La pluie, les couleurs froides, le mobilier moderne et austère, tous ces éléments donnent au film une empreinte visuelle parfaitement maîtrisée, qui vient comme en écho au scénario et à ses obscurités. L’un des éléments les plus marquants du décor est sans aucun doute l’escalier en acier qui s’élève à plus d’une dizaine de mètres et qui mène à l’atelier de Vincent. Permettant à Éric Barbier de composer des plans très graphiques, cet escalier provoque à lui seul une tension énorme.
Pour toutes ces qualités, Le Serpent est un film à recommander aux amateurs de thriller et de scénarios machiavéliques. La progression parallèle des deux personnages permet au spectateur de suivre à la fois un homme ordinaire d’abord complètement dépassé et qui devra ensuite se battre comme il ne l’a jamais fait, et en même temps un homme déterminé à se venger, aussi malin que dérangé. Pour Éric Barbier, le troisième essai était le bon.