Le chemin de vie d’Henri-François Imbert le mène une nouvelle fois aux salles obscures. Narbonne, le lieu de sa naissance, où s’est tourné en 1974 le film de Jean Eustache Mes petites amoureuses, est le décor de ce documentaire, à moins qu’il n’en soit le sujet… La ville qui réfléchit le passage du temps, et Henri-François et sa caméra qui traversent le miroir du passé grâce aux hommes et à leurs souvenirs. À partir d’une telle abstraction, Henri-François Imbert réalise avec Le Temps des amoureuses un flirt adolescent entre la vie et le cinéma. Lequel des deux drague l’autre ? Lequel possède le plus grand pouvoir de séduction ?
Le cinéma français ne tarit pas d’objets filmiques mi-documentaire, mi-fiction relevant de la tendance auteuriste à dire « je », une position qui agace parfois parce qu’elle amalgame cinéma et cinémoi. Les documentartistes fondent complètement leur art dans leur vie, maniant la matière brute avec une application particulière à ne pas faire disparaître les intentions dans une finalité formelle. C’est ainsi que s’annonce un film d’Henri-François Imbert : un ton, une voix particulière qui introduit le « je » pour contextualiser le récit qui va se dérouler sous nos yeux ébaudis. Et le film à la première personne du singulier s’affirme jusque dans son élaboration, c’est même une marque de fabrique, puisque Henri-François Imbert travaille seul, sans technicien (excepté une monteuse : Céline Tauss). Mais s’il commence par articuler le « je », le film apostrophe ensuite le « nous ». Ainsi résonnaient dans la voix d’Imbert la rumeur du conflit nord-irlandais dans Sur la plage de Belfast, ou encore l’écho de la guerre civile espagnole avec No Pasarán, album souvenir (évoqué à plusieurs reprises dans Le Temps des amoureuses, le nouveau film s’imbriquant dans le précédant).
Tourné en Super 8 (pour les images rapides, les vues des fenêtres de trains et de voitures) et vidéo numérique (pour laisser le temps, sans compter, aux entretiens filmés), l’enjeu formel du Temps des amoureuses et de créer au montage un rythme entre ses images et les photographies de plateau en noir et blanc de Pierre Zucca, auxquelles sont ajoutés des éléments sonores très sobres. Henri-François Imbert ressuscite les images, fixes ou en mouvement, et par là même exhume le temps révolu. Ensuite vient le montage, cette étape particulière où le cinéaste et sa monteuse déterminent ce qui appartient ou non au film, qui, animé d’une force centrifuge, a englouti toute une matière vivante sur son passage. L’important repose donc sur la mise en relation au montage de ces jeux de l’amour et du hasard captés au tournage, inhérents à la vie.
Le film débute sur une occurrence : la rencontre avec Hilaire Arasa, qui lorsqu’il était adolescent a joué dans le film de Jean Eustache Mes petites amoureuses. À ses prémices, le documentaire est bavard afin de mettre en place la situation initiale. Henri-François Imbert nous détaille (car les détails sont le balisage du hasard) les circonstances de cette coïncidence avant de laisser la parole à Hilaire, protagoniste choisi par le film lui-même : « Nous nous sommes retrouvés en Cerdagne pour commencer à faire ce film » (l’ultime phrase de la voix off qui précède la première interview d’Hilaire). Le « nous » suggère qu’Hilaire, étant un sujet dans la vie avant d’en être un dans le documentaire, a un rôle à jouer dans le déroulement de ce dernier et qu’il n’en sera jamais le simple objet. Car à la différence du dernier film de Nicolas Philibert Retour en Normandie, dans lequel le documentariste était à la fois l’initiateur et le moteur du film, Hilaire dans Le Temps des amoureuses est le personnage relais, celui qui partage avec Henri-François Imbert le désir du film.
La suite nous est contée sous la forme d’un journal chronologique, d’une enquête passionnelle qui découvre ses thèmes. L’un, récurrent dans la filmographie d’Henri-François Imbert, que viennent enrichir des escales dans des musées (notamment au Prado à Madrid), est celui de la mémoire des images. Les images et ce qu’en font les hommes. Visuelles ou mentales, nettes ou brumeuses, celles-là mêmes qui poussent un ancien comédien de Mes petites amoureuses à affirmer que le tournage « c’est inoubliable comme souvenir », alors qu’il ne se rappelle pas, l’instant d’avant, une anecdote rapportée par Hilaire à laquelle il a assisté à l’époque. L’obsession du passé se prolonge autour de la thématique de l’enfance et de ses espérances surannées. Ceci légitime les multiples allusions d’Henri-François Imbert à ses filles ou même à sa propre enfance. Continuité logique pour un documentaire qui marche, trente années plus tard, dans les pas de Mes petites amoureuses, magnifique fiction sur l’entrée dans l’adolescence. Dans Mes petites amoureuses on trouve également une voix off, celle du protagoniste, portée par une sorte de désenchantement. Une voix d’enfant qui sonne grave. Paradoxalement, dans Le Temps des amoureuses le ton est plus allègre. « Autres temps, autre mœurs » dit la vieille dame qui ouvre les portes de la cour de l’ancien cinéma, et au film de se clore sur une rencontre avec les jeunes d’aujourd’hui, dans le centre social où Hilaire est éducateur. On y trouve des jeunes filles désillusionnées, hantées par des rêves déjà fanés. Et si Henri-François Imbert interroge le désenchantement, il répond par le rôle enchanteur du cinéma, en faisant de l’une de ces adolescentes l’actrice et la danseuse qu’elle aspirait secrètement à devenir… le temps d’un épilogue.
C’était donc ça. Un film qui aurait pu rester dans une tête mais qui finalement se retrouve sur la toile, ceci rendu possible par une approche documentaire décomplexée (à l’instar du rapport d’Hilaire à la musique), marginale et sincère. Cette voix mélancolique serait en définitive la mélodie du bonheur ?