« Le trou », c’est la prison. L’espace, c’est une cellule de la Santé à Paris. Le projet des détenus qui l’occupent, unis par le hasard, c’est l’évasion, le retour à la liberté. « Le trou », c’est ce qu’ils creusent à partir de leur cellule. Tendus vers leur dessein, ils vivent, après la solitude, la solidarité et la confiance. L’amitié naît et grandit aussi. Comme suspendu, le temps qui est la clef de la réussite, grâce à la patience et l’effort, façonne cet univers d’hommes d’honneur en marge des règles du monde judiciaire. Mais comme dans toute aventure humaine, la liberté a un prix.
« Le trou », c’est la prison. Le film l’explique en ouverture, ce huis-clos carcéral, c’est l’adaptation d’une histoire réelle, celle d’un ancien prisonnier dont José Giovanni a fait la matière d’un roman éponyme. L’espace, c’est donc une cellule de la Santé à Paris. Le projet des détenus qui l’occupent, unis par le hasard, c’est l’évasion, le retour à la liberté. Le Trou raconte la tentative d’évasion de cinq détenus de la prison de la Santé à Paris. « Le trou », c’est aussi ce que creusent à partir de leur cellule des co-détenus si déterminés à s’échapper.
Grâce aux éléments « classiques » du « film d’évasion » – les détenus seront-ils pris ? réussiront-ils à s’échapper ? –, Le Trou entretient continuellement un suspense très efficace. La force du film réside d’abord dans des choix de mise en scène qui servent la description de l’univers carcéral et des différentes étapes du projet d’évasion. Le Trou est un chef-d’œuvre d’entomologie pénitentiaire basé sur un fait réel. Le film est quasiment documentaire et anthropologique par moments, riche en détails de toutes sortes sur le quotidien des prisonniers et sur leurs ruses pour déjouer l’attention de leurs geôliers. Pour pouvoir s’échapper, il faut creuser un tunnel et cela réclame beaucoup d’efforts car la matière résiste au travail de l’homme. La surveillance des détenus est continuelle, interrompue seulement par la nuit. À tout moment, une décision de l’administration pénitentiaire peut séparer les hommes par un changement de cellule. Le « travail » des hommes risque aussi fréquemment d’être découvert à l’occasion de l’inspection régulière des cellules. De fait, les détenus manquent d’un temps « carcéral » très contrôlé et qui leur échappe. Pour s’échapper, et revenir au Temps de l’Homme en regagnant l’humanité, ils doivent réapprendre à compter le temps. Merveille d’ingéniosité, la fabrication d’un sablier rudimentaire par l’un des détenus constitue l’astucieux moyen de se réapproprier le temps.
Le film a largement bénéficié du concours de José Giovanni. Ce dernier témoigne alors à sa manière des années qui ont suivi la Libération. Bon nombre d’hommes et de femmes ont connu la prison ou l’emprisonnement, pour des motifs honorables, car ils ont été hors-la-loi comme résistants. Mêlé à la Résistance, José Giovanni n’est entré en prison qu’à la Libération à cause d’une sombre affaire, d’argent et de meurtre, qui aboutit à sa condamnation à mort. L’obstination de son père à le faire libérer n’a pas peu compté dans sa survie. Avec les conseils de José Giovanni, le film a sans doute beaucoup gagné en authenticité. La méticulosité du réalisateur pour chaque détail trouve alors son plein emploi. Car, comme l’écrit Pierre Billard, « la façon de crocheter, desceller ou gratter tel élément de serrure, barreau de fer ou cloison de plâtre prend, pour des candidats à l’évasion enfermés dans une cellule, une importance vitale ». De la sorte, Le Trou témoigne d’un ascétisme de la mise en scène. Dans une approche « naturaliste », Jacques Becker a privilégié les gros plans et les cadrages qui accentuent, avec son étroitesse, l’aspect étouffant de la cellule. Le monde du dehors, celui de la prison et, plus encore, de la Cité des hommes, demeure constamment « hors champ ». Suggéré par la livraison des colis ou les visites aux prisonniers, le « dehors » est à peine entrevu le soir où le tunnel est achevé. Dans ce huis-clos, la trame sonore est volontairement minimaliste. Plutôt que de la musique, Jacques Becker a préféré laisser entendre aux spectateurs le concert des sons assourdis de la prison. Dans la nuit silencieuse, il a aussi donné à écouter le bruit des « outils » métalliques sur le granit et la pierre. Leur résonance est d’autant plus forte qu’elle ajoute par son étrangeté au risque d’être découvert. Mais ce qui donne plus de force encore au film, c’est l’interprétation des acteurs. Avec Michel Constantin, se trouvent réunis, pour un « jeu » très naturel, des acteurs non professionnels, notamment Jean Kéraudy, ancien détenu qui a participé à de véritables évasions. Cette « vérité » du « jeu » des acteurs contribue grandement au réalisme du film et à la fascination qu’il exerce sur le spectateur. Dans Le Trou, « tout geste, toute parole, toute pensée, toute image est orientée vers la conquête de la liberté » (Pierre Billard).
Le Trou n’est pourtant pas un film ayant pour sujet la prison, ni même un « film d’évasion ». Il est beaucoup plus que tout cela. En 1953, le critique André Bazin avait déjà fait remarquer l’une des caractéristiques majeures du cinéma de Becker. « Il s’agit pour Becker de nous faire croire à ses personnages, de nous les faire aimer, indépendamment des catégories dramatiques qui constituent l’infrastructure habituelle du cinéma comme du théâtre ». Loin de démentir, le réalisateur avait alors confirmé la pertinence de l’observation du critique. « Je n’ai jamais voulu (exprès) traiter un sujet. Jamais et dans aucun de mes films. Les sujets ne m’intéressent pas en tant que sujets. L’histoire (l’anecdote, le conte) m’importe un peu plus, mais ne me passionne nullement… Seuls les personnages de mes histoires (et qui deviendront MES personnages) m’obsèdent vraiment au point d’y penser sans cesse ». Si Le Trou est donc un film sur cinq détenus qui tentent de s’échapper, il est, au-delà, un film sur l’humanité de cinq hommes en quête de liberté et sur l’Humanité à laquelle ces personnages appartiennent tous. Tendus vers leur dessein, ils vivent, après la solitude, la solidarité et la confiance. L’amitié, peu à peu, naît et grandit aussi. Comme suspendu, le temps qui est la clef de la réussite, grâce à la patience et l’effort, façonne cet univers d’hommes d’honneur, en marge des règles de l’Institution judiciaire. Pour réussir, il leur faut maintenir dans le temps la solidarité et la confiance. Même celui qui a renoncé à s’enfuir pour préserver sa mère participe au labeur collectif. Grâce à l’effort de tous, les hommes sont tout près d’accéder à la liberté. « C’est bon d’être ensemble », s’émerveille ainsi Gaspard, le nouveau venu à qui les quatre autres ont accordé leur confiance. Une nuit, le tunnel terminé, la voie est libre, l’accès à la rue de Paris est possible. Les hommes s’en assurent. Mais il convient de demeurer solidaire. Deux hommes, plutôt que de s’enfuir, préfèrent retrouver leurs camarades. La liberté sera offerte à tous ceux qui la veulent, ou à personne. Car comme dans toute aventure humaine, la Liberté a un prix. La recouvrer, ou parvenir jusqu’à elle, c’est conserver l’intégrité, ne pas déchoir, ne pas fauter contre le groupe, la solidarité qui le fonde, l’amitié qui le transcende. Alors qu’ils sont maintenant prêts à s’enfuir, les gardiens interviennent. La trahison a fait son œuvre. Mais la morale n’est pas sauve à cause de l’échec du projet d’évasion des prisonniers. Ce qui consomme l’échec de la tentative d’évasion, c’est l’égoïsme de l’un des détenus qui a choisi de trahir. Pour le bénéfice d’une sortie prochaine, il a rompu le « pacte » de la solidarité et de l’amitié partagées. Sans doute aurait-il pu garder le silence et choisir lui aussi de ne pas partir. Mais il a parlé au directeur de la prison et a ainsi sacrifié l’esprit du groupe à son intérêt personnel. « Pauvre Gaspard », jette l’un des détenus à l’endroit du traître auquel il ne reste que remords et pitié. Jacques Becker a explicité la dimension « fraternelle », sinon « spirituelle », de son film. « Le problème humain, les rapports entre individus condamnés à vivre ensemble, c’est l’histoire de Judas. Ce qui est passionnant, c’est de voir comment cette entreprise très adroite a été réduite à néant par quelqu’un qui s’est comporté comme Judas, qui participe jusqu’au bout et finalement trahit. Il y a dans ce type un côté maudit ». Bien loin d’un encouragement à l’évasion, voire d’une apologie de gangsters, Le Trou est donc avant tout, et comme tous les grands films « noirs » américains, une œuvre qui aboutit à la Chute.
Le Trou est tout juste achevé que son réalisateur disparaît à 53 ans, en février 1960, Jean-Luc Godard salue le « frère Jacques ». À bout de souffle achève alors d’enterrer l’académisme cinématographique dénoncé par François Truffaut. Si ce dernier qualifie le film de « poétique », il est boudé par le public. Le Trou est accusé de prendre le parti des prisonniers, donc des criminels. Pour pallier l’échec commercial du film, le producteur ampute alors le film d’une vingtaine de minutes. Le Trou a ainsi été, et sans doute l’est-il encore aujourd’hui, longtemps méconnu. Il s’offre pourtant, avec des moments de grande intensité, comme une expérience de cinéma hors du commun dans laquelle les images révèlent, comme dans toute grande poésie visuelle, l’invisible univers des sentiments et des valeurs. Il a fallu attendre des années avant que ce film ne devienne une référence à l’égal d’Un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson, auquel Le Trou peut légitimement être apparenté, et plus tard d’Escape from Alcatraz de Don Siegel, qui en reprend plusieurs aspects. Le rapprochement du Trou avec Un condamné à mort s’est échappé ne manque d’ailleurs pas d’intérêt quant aux conceptions respectives des deux réalisateurs, ainsi que l’analyse fort bien Claude Naumann. « Accompagné par le Requiem de Mozart, l’épilogue de Bresson comprend une évidente connotation rédemptrice : Fontaine et Jost sortent libres et magnifiés par cette épreuve » qu’est l’évasion de la prison Montluc. Par comparaison, « le dernier film de Becker est un chant funèbre à l’illusoire fraternité entre les hommes, alors que le film de Bresson se termine sur le triomphe de la volonté humaine ».
En expert, Jean-Pierre Melville considérait Le Trou, « et là, disait-il, je pèse bien attentivement mes mots, comme le plus grand film français de tous les temps ». Quarante-cinq ans après sa réalisation, ce qui est sans doute l’un des plus beaux films de Jacques Becker demeure au moins un modèle de mise en scène ; une œuvre forte qui s’impose comme un film singulier, implacable par l’humanité de ses personnages et le grand souffle de la Liberté contrariée qui les anime.