Ça commence plutôt mal. Dans une grange sale, on assiste à un interrogatoire musclé, filmé en noir et blanc et au ras du sol, à la hauteur des prisonniers entassés au fond de la pièce. Les questions et les coups assénés hors champ font leur effet, mais le cadre ostensiblement travaillé, soigneusement délimité par la chaise du torturé à gauche et un seau à droite, fait déjà craindre un cinéaste un peu trop soucieux de son esthétique. Au plan suivant, une forme ovale barre l’écran, se balançant d’avant en arrière de manière obscène, avant de s’avérer le casque d’un soldat violant une prisonnière – scène déformée et outrée par la profondeur de champ. Le titre apparaît alors, nous laissant nous interroger sur les motivations du réalisateur Francisco Vargas : cinéaste dénonciateur sincère et un rien outrancier, ou esthète grisé par ses propres images ? La suite du métrage vient hélas confirmer la pire de ces hypothèses.
L’exercice de la parabole est difficile au cinéma. Pour se permettre de reposer sur la simplicité biblique d’une intrigue à message, mieux vaut pouvoir fournir en retour des propositions cinématographiques propres à donner une nouvelle dimension à son propos. Faute de quoi le film, qui visait la grandeur par l’universalité de son propos, prend le risque de se ramasser sur la brièveté même de son postulat de départ.
Le Violon annonce très tôt et très solennellement sa nature de parabole humaniste, avec son noir et blanc ramenant le récit à une simplicité primitive, et son trio transgénérationnel de musiciens itinérants : le vieux Don Plutarco, son fils et son petit-fils, tous trois en lutte contre le pouvoir en place, dans un pays d’Amérique latine dont on occulte le nom pour rendre le propos universel. L’ancien, violoniste à un seul bras valide et portant un nom de philosophe grec, est comme on peut s’y attendre empreint de sagesse et d’humanisme, qu’il transmet à son petit-fils par des promesses énigmatiques. Le capitaine qu’il cherche à séduire avec son violon s’avère être un brave type aux ambitions artistiques réprimées, transformé par les circonstances en serviteur zélé et brutal. Et le film évolue en une illustration quasi littérale de l’adage « la musique adoucit les mœurs »…
« Simplicité édifiante »
Ce qui gêne dans ce touchant assemblage d’idées, c’est que ces éléments de scénario, si explicites qu’ils soient dans le message qu’ils portent, ne sont accompagnés d’aucune réelle démarche de mise en scène propre à donner une vraie perspective, un vrai corps à ces figures un peu convenues et sans mystère, à l’exception de quelques trouvailles esthétisantes ou trop signifiantes pour être honnêtes. Les images ont beau être d’un noir et blanc léché, leur cadre soigné et leur montage fluide, elles ne recèlent rien d’autre que ce qu’elles montrent : pas de sous-texte ni de signe d’une volonté du cinéaste d’y transmettre quelque chose de plus secret, de moins ostensible qui enrichirait le propos au-delà de sa simplicité édifiante. Tout au plus l’auteur en mal d’images pleines de sens dissémine-t-il ici et là quelques visions allégoriques qui ne font que surligner sa parabole : ici les longs plans fixes des voyages du vieillard en mule de gauche à droite de l’écran ; là celui du même homme jouant devant les soldats et entouré par des poutres inclinées, symbole évident du vacillement du monde devenu fou dans lequel il se débat.
Vargas cite Buñuel en référence, en particulier son Los Olvidados, qui lui aussi traitait de populations déclassées du Mexique, et dont Le Violon reprend mollement quelques caractéristiques : le noir et blanc, le musicien mutilé… Mais la comparaison qu’il semble vouloir induire est bien incongrue, tant il s’avère que les regards des deux cinéastes sur leurs sujets n’ont vraiment rien en commun : il suffit de rappeler, chez le surréaliste, l’absence totale de pitié ou de complaisance pour ses personnages miséreux, deux caractéristiques dans lesquelles Vargas se laisse glisser insidieusement. Sa volonté mal maîtrisée d’enluminer soigneusement son récit nuit à la fois à la portée de son message humaniste et à l’impact de sa représentation d’une sordide réalité de l’Amérique latine.