Tourné entre 2009 et 2011, le documentaire d’Axel Salvatori-Sinz rend compte d’une réalité qui n’existe déjà plus : celle du camp de Yarmouk en Syrie où ont trouvé refuge plusieurs centaines de milliers de Palestiniens en attente de pouvoir rejoindre leur territoire. La guerre civile qui ravage la Syrie depuis maintenant quatre ans a eu un impact considérable sur l’organisation de ce camp : passée de 500~000 à 18~000 individus, la population de réfugiés apatrides survit dans une précarité accentuée par une grande vulnérabilité économique. Sans rien savoir de l’impact qu’aurait un possible soulèvement de la population syrienne contre le régime de Bachar el-Assad sur la préservation du camp, le réalisateur a réussi à défier les autorités pour tourner clandestinement un documentaire autour d’un groupe de jeunes, occupant leur temps entre militantisme politique et démarches artistiques. Ce différentiel de savoir entre l’époque à laquelle fut tourné le film et ce que l’on sait de la tragédie qui ravage actuellement la région insuffle à la plupart des scènes une mélancolie bouleversante, devenant ainsi le troublant témoignage de lieux disparus et d’un espoir assassiné pour ces jeunes aux aspirations universelles. Sortir ce film quatre ans après l’achèvement du tournage, alors que les protagonistes ont vu leurs chemins se séparer irrémédiablement, permet à la mise en scène de s’enrichir d’une puissance réflexive qui ne cesse de troubler une fois le visionnage achevé.
Un espace clos
Si le documentaire rend compte jusque dans son titre de l’existence de Yarmouk, on ne verra finalement pas grand chose du camp. Tenu à mener son projet de manière clandestine pour contourner la censure, le réalisateur ne s’est quasiment jamais aventuré à filmer les extérieurs et lieux publics. Circonscrit aux appartements de quelques protagonistes et aux toits d’immeubles desquels on peut apercevoir l’organisation un brin anarchique de cette enclave, le documentaire se nourrit par ailleurs de cette contrainte pour dire quelque chose du quotidien des habitants : démunis sur le plan matériel et privés de droits civiques (dépourvus de nationalité, ils n’ont pas la possibilité de voter, de voyager et le travail leur est difficilement accessible) alors qu’ils sont pourtant tenus d’effectuer un long service militaire en Syrie, les jeunes habitants de Yarmouk n’ont que très peu de raisons d’investir l’espace extérieur, préférant l’espace confiné des appartements où ils ont notamment la possibilité de fumer pour tromper l’ennui et la désillusion héritée de leurs parents (qui croyaient encore à un retour possible en Palestine). Essentiellement composée de plans serrés et de perspectives obstruées, la mise en scène d’Axel Salvatori-Sinz traduit parfaitement le sentiment d’enfermement autour duquel semble régi le quotidien des habitants et des quelques jeunes qui se livrent sans détour à la caméra.
Cœur vibrant
Bien que le documentaire soit court (1h18), jamais le réalisateur ne réduit ses intervenants à des figures dont la seule présence servirait à valider une intention de départ. Les choix de mise en scène démontrent d’ailleurs assez rapidement que le dispositif vise surtout à accueillir la parole subjective : au cours de plans très étirés et d’une série de scènes d’exposition qui ne cherchent jamais à rendre compte à la manière d’un reportage d’un contexte socio-politique, la caméra d’Axel Salvatori-Sinz vise surtout à capter les rêves et espoirs d’une jeune génération. Celle-ci est attachée à son histoire mais sait aussi que le camp de Yarmouk, s’il fait partie intégrante de son identité, reste une prison à ciel ouvert. Alors que l’attente nourrit inlassablement leur quotidien, ces jeunes écrivent, débattent, montent des projets et s’aiment. Au-delà de leur implication dans des projets artistiques et politiques, ces « Chebabs de Yarmouk » s’incarnent dans la mise à l’épreuve de leurs sentiments et mettent à jour leurs contradictions au travers d’écrits qu’ils n’hésitent pas à lire face caméra. Que ce soit lors de la troublante confession d’un jeune homme dont la petite amie a avorté ou dans cette pudique mais émouvante scène d’adieux entre des parents et leur fils prêt à quitter le camp pour plusieurs années, le documentaire d’Axel Salvatori-Sinz rend justice à l’humanisme universel de ces quelques jeunes déterminés dans leur soif de vie et pour qui l’exil restera malheureusement la seule issue possible.