Comptant parmi les plus anciens festivals français de cinéma, le Festival du cinéma méditerranéen (Cinemed, pour les intimes) de Montpellier a franchi cette année le cap de la 40ème édition. Pour l’occasion, les organisateurs avaient choisi de mettre particulièrement à l’honneur un illustre cinéaste contemporain du sud de la France, à savoir Robert Guédiguian, via une intégrale de ses films et une exposition didactique – l’événement coïncidant avec la parution de la première monographie consacrée à l’auteur de Marius et Jeannette.
Pour le moins fourni, le programme de ce 40ème Cinemed comprenait par ailleurs notamment un florilège de grands classiques, un hommage à l’âge d’or de la comédie italienne, une rétrospective José Luis Guerín, une section spéciale consacrée au jeune cinéma libanais, une sélection de films régionaux sans oublier, bien sûr, tous les films inédits (courts et longs métrages, fictions et documentaires) présentés en ou hors compétition.
Une belle révélation
Du côté de la compétition des longs métrages de fiction, Les Météorites de Romain Laguna laisse en mémoire une empreinte lumineuse. Déjà auteur de plusieurs courts, Romain Laguna révèle une personnalité de cinéaste déjà très affirmée avec ce beau premier long métrage qui suit, le temps d’un été, la trajectoire de Nina, une jeune fille de 16 ans gravitant entre son petit village du sud de la France et le parc d’attractions où elle travaille pour la saison. Au début du film, Nina voit au loin une météorite transpercer le ciel et s’écraser dans la montagne. Peu après, elle fait la rencontre de Morad, jeune homme un peu plus âgé, qui lui embrase rapidement les yeux et le cœur…
En soi, brodant sur l’éternel motif de l’adolescence et de l’éveil des sens, cette histoire n’a rien de très original mais Romain Laguna parvient pourtant à lui conférer l’éclat incomparable (et inaltérable) d’une première fois grâce à la justesse et à la finesse de son approche. Souvent vifs et percutants, les dialogues contribuent beaucoup à l’authenticité spontanée du film et permettent aux personnages d’exister pleinement, par-delà les stéréotypes liés à leur âge. C’est particulièrement vrai de Nina, incarnée par Zéa Duprez qui crève l’écran presque autant qu’Élodie Bouchez dans Les Roseaux sauvages – l’ombre frémissante du film de Téchiné se décelant par intermittences. Récit d’apprentissage discrètement mâtiné de conte fantastique, Les Météorites prend tout son relief par la manière, très suggestive, dont le film fait ressentir la présence (et l’influence) de la nature, notamment dans l’envoûtante dernière partie en forme d’échappée belle métaphorique.
Jeunes femmes en lutte
La nature joue également un rôle essentiel dans Sibel de Çaǧla Zencirci et Guillaume Giovanetti, autre long métrage de la compétition fiction. Le personnage central du film est une jeune femme prénommée Sibel, vivant avec son père veuf et sa jeune sœur dans un petit village de Turquie, perdu dans les montagnes. Muette depuis l’enfance, Sibel communique à l’aide d’une langue sifflée ancestrale de la région. Mal acceptée, voire rejetée, par le reste de la communauté, elle se réfugie souvent dans les bois environnants, où elle tombe un beau jour sur un homme épuisé et blessé…
S’il ne manque pas d’intensité, surtout lorsqu’il s’écarte de son axe narratif pour suivre librement Sibel dans la nature (voir en particulier la scène saisissante du long hurlement muet au milieu des bois), le film se montre globalement trop appuyé et démonstratif. Désireux de montrer une jeune femme luttant pour s’affirmer au sein d’une société patriarcale aux traditions archaïques, les deux réalisateurs enferment hélas personnages et récit dans un carcan pesamment manichéen dont ils peinent à les extirper par leur mise en scène.
Portrait en profondeur
Figurant dans la compétition documentaires, Amal de Mohamed Siam prend également pour sujet la tension entre une jeune femme et la société à laquelle elle appartient. Pendant plusieurs années, de 2011 à 2017, le cinéaste a suivi Amal, jeune Égyptienne au caractère bien trempé, ayant pris part aux manifestations de la place Tahrir (elle avait alors seulement 14 ans) qui ont entraîné la démission d’Hosni Moubarak en février 2011. Mêlant à ses propres images des séquences extraites de vidéos familiales tournées durant l’enfance d’Amal, Mohamed Siam compose un portrait en profondeur de cette jeune fille en colère.
Sans se faire intrusif, il capte son évolution sur le plan physique comme sur le plan moral (la hargne des premières années s’estompant peu à peu), l’observe et l’écoute, s’attarde en particulier sur ses rapports conflictuels avec sa mère. Divisé en chapitres indiquant le passage des années et soulignant l’écart qui se creuse avec la « révolution » de 2011, le film donne à voir comment Amal et la société égyptienne, toutes deux en crise, s’adaptent et se transforment au fil du temps. Inséré dans le générique de fin, un plan d’épilogue montre Amal, désormais âgée de 20 ans, caressant son ventre tout rond…
Un inclassable objet de cinéma
Terminons avec Chjami è Respondi d’Axel Salvatori-Sinz. Programmé dans le panorama longs métrages, ce film aussi attachant que singulier emprunte son titre au nom d’une joute verbale corse. Il a été tourné sur l’île de Beauté, plus précisément à Cateri, petit village où Axel Salvatori-Sinz, dix ans après sa dernière visite, a voulu revenir pour se confronter à son père et tenter de renouer un dialogue avec lui. Avec une distance souvent teintée d’ironie légère ou d’autodérision, le jeune cinéaste – qui avait auparavant signé le documentaire Les Chebabs de Yarmouk (2015) – met en place un dispositif subtilement réflexif dès la (drolatique) séquence d’ouverture, durant laquelle on l’entend donner des instructions à son père. Récalcitrant et bougon, celui-ci finit tout de même par faire ce que son fils lui demande de faire (en l’occurrence grimper à vélo la route menant au village) pour mieux râler de nouveau ensuite – et à d’autres moments du film.
De leur collaboration parfois houleuse mais finalement fructueuse résulte un inclassable objet de cinéma, spirituel et stimulant – quelque part entre home movie, autopsychanalyse, comédie involontaire et documentaire sur le film en train de se faire. Le film, qui s’achève sur un plan montrant Axel Salvatori-Sinz assis à une table face à son propre enfant, relie in fine trois générations. Il n’aura malheureusement pas de suite : Axel Salvatori-Sinz est mort en janvier 2018, à l’âge de 35 ans seulement.