Chiffres provisoires : 28 volumes de manga, 145 épisodes de séries télé, 31 épisodes d’OAV (équivalent du direct-to-video occidental)… et six longs-métrages en comptant celui-ci, reboot du premier arc narratif de la saga. Oserait-on comparer l’activité de la franchise japonaise Saint Seiya (arrivée en France sous le titre Les Chevaliers du Zodiaque, via le défunt et non regretté « Club Dorothée ») à celle des Avengers de Marvel Entertainment ? Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit bel et bien d’établir sur le long terme une mythologie à part entière, où la narration peut bifurquer, mais où les personnages atteignent et conservent leur dimension fabuleuse et quasi divine de grandeur et de blessures. La création de Masami Kurumada, elle, dont les premières aventures parurent en 1986 dans la revue hebdomadaire Shōnen Jump, est toujours promise à durer sans laisser s’installer la nostalgie. Et ce reboot ne cache pas son intention de fédérer fans de la première heure et jeune génération, quitte à prendre des libertés avec la charte graphique d’origine. La franchise prend pour la première fois les traits de l’animation 3D, mais surtout ses protagonistes adolescents accusent plus ostensiblement leur jeune âge : tandis que ceux de la série arboraient des airs de (plus ou moins) jeunes adultes, ceux du film débarquent en se conformant davantage aux conventions de représentation d’ados se laissant aller à la cool-attitude plus ou moins responsable (il ne leur manque plus que la planche de skate), aux blagues entre potes et au rouge au front quand point le désir amoureux. Pour les spectateurs familiers, cela peut être un peu déconcertant au début, et faire craindre de voir la franchise frappée du syndrome Ninja Turtles ; mais au fil du long-métrage, il s’avère que les petites incartades n’étaient qu’une mise en bouche pour mieux revenir à la solennité qu’on connaît à la saga.
Legend of Sanctuary est à peu près fidèle aux prémices de la mythologie Saint Seiya, laquelle va piocher son imaginaire dans la mythologie grecque, l’astronomie et l’astrologie. Ledit Seiya est l’un des cinq orphelins terriens élevés et entraînés pour être des « Saints de Bronze » nommés d’après des constellations, soit des gardes du corps d’une jeune fille de leur âge qui n’est autre que la réincarnation de la déesse Athéna, appelée à régner sur une sorte d’Olympe appelé « Sanctuaire ». Or pour défendre les droits de la demoiselle (car une autre a été mise au pouvoir à sa place suite à une machination), il faut l’escorter jusque là-bas, ce qui implique de passer par douze « Maisons » nommées d’après les signes du zodiaque et dont les gardiens (les « Saints d’Or ») sont diversement disposés à les laisser passer, et ce pour des motifs tout aussi divers… Et tout cela au pas de course, car la déesse a été empoisonnée et ses heures sont comptées. D’où une suite de combats homériques, de règlements de comptes tragiques et de déchaînements de pouvoirs cataclysmiques. La réactualisation s’est de toute évidence concentrée sur l’action pure, d’autant qu’au-delà du lifting 3D (sur lequel les fans hardcore discuteront à coup sûr âprement), la réalisation fait preuve d’un sens de l’espace approprié pour figurer des effets physiques parfois d’ordre cosmique en leur assurant une lisibilité de tous les instants. Mais si l’action se montre éclatante, c’est son ampleur qui se révèle limitée, conséquence du resserrement un peu hasardeux de tout ce qui l’entoure.
Course contre le format
Car si nos petits Saints courent contre la montre pour arriver au bout, on trouve encore plus pressé qu’eux : le film, lui, s’est imposé la gageure de raconter en une heure trente ce qui, dans la série, prenait plusieurs dizaines d’épisodes. Et cela laisse des traces sur le récit, en bien comme en mal. On ne se plaindra pas que soit abrégé le récapitulatif de la genèse des Saints, expédié en une conversation dans une voiture avant qu’on entre dans le vif du sujet (explosion et baston). Cependant, le raccourcissement des rencontres avec les Saints d’Or a un effet ambivalent. S’y révèlent quelques sous-intrigues évoquées superficiellement (comme des relations maître-élève entre des Saints d’Or et de Bronze) qui, si leur incomplétude peut frustrer, laissent l’imagination travailler sur les personnages et ce qui les anime au-delà des attitudes. Mais l’aspect tragique peine dès lors à prendre à prendre toute sa dimension, tandis que le caractère homérique des affrontements souffre de leur brièveté. Les dénouements de ceux-ci, notamment, paraissent trop souvent expédiés par des moyens un peu faciles, que ce soit une prise de conscience par l’adversaire de son erreur, l’intervention d’un tiers, ou le recours artificiel à un regain surhumain de volonté du héros. Le tout est loin d’être honteux, mais fait régulièrement sentir qu’il aurait gagné à se déployer sur une longueur supérieure, voire s’incarner en une nouvelle série, afin que ses acteurs prennent une envergure au-delà des vignettes de héros juvéniles.