Après la comédie sociale Huit fois debout (2010), Xabi Molia reste dans la même veine pour son deuxième long-métrage, mais joue davantage sur un mélange subtil des genres pour traiter de sujets graves sur un ton fantaisiste. Ainsi, Les Conquérants réussit à nous emporter dans sa folie loufoque, même si les aventures de ses anti-héros finissent un peu en roue libre.
Deux demi-frères, Noé (Mathieu Demy) et Galaad (Denis Podalydès), se retrouvent à la mort de leur père, un explorateur excentrique. La possession d’une relique sacrée aurait été à l’origine de l’infortune paternelle – de déconvenues matérielles en maladie fatale –, mais elle serait aussi la cause des malheurs rencontrés par ses fils, selon Galaad, comédien fauché atteint d’un cancer. Noé, coach de football, se moque de ces superstitions, jusqu’au jour où la défaite de son équipe se solde par son licenciement, suivi d’un accident de circulation. De ce fait, Galaad convainc son benjamin de remettre en place le maudit Graal dans un lieu à la localisation incertaine, que les frères devront trouver grâce aux enregistrements audio laissés par leur défunt père.
Ce film improbable est tout à la fois : une comédie, un film d’aventures, un drame, un conte merveilleux… Les Conquérants comporte des ingrédients génériques disparates et constitue pourtant un univers cohérent. La loufoquerie et la magie font irruption de manière fugace, lorsque les frères aux prénoms féériques sont confrontés à un ours en forêt ou que le Graal donne à Noé le pouvoir de voler. Mais le réalisme social reprend toujours le dessus pour construire le parcours de deux anti-héros attachants. Ainsi, Xabi Molia manie les genres et varie les tons avec un sens de l’équilibre très maîtrisé. Dans cet exercice d’équilibriste, il s’adjoint des partenaires de choix. La présence de Denis Podalydès et Mathieu Demy, acteurs associés à des univers cinématographiques plutôt réalistes et souvent intimistes, vient ancrer une histoire fantaisiste dans le réel. On suit avec plaisir les aventures hasardeuses de Galaad, perdant magnifique et éternel rêveur, et de Noé, délinquant repenti et coach intello. Si Podalydès investit un type de personnage qui lui est familier, Mathieu Demy dévoile une facette nouvelle dans ce rôle de dur à cuire perdu dans ses états d’âme. Les scènes d’entraînement avec l’équipe de foot constituent d’ailleurs de purs moments de plaisir : que Noé explique à ses joueurs comment le footballeur est devenu un travailleur social, investi d’une mission pour donner du rêve à un public usé par la crise, ou qu’il essaie de mobiliser ses troupes en citant le philosophe Marcel Gauchet.
Xabi Molia aime les êtres bancals, comme il l’a déjà montré avec Huit fois debout. Son deuxième film comporte bien des points communs avec le premier, dans la mise en scène de marginaux au bout du rouleau, dans l’expression d’un amour certain pour le football (investi par Podalydès dans Huit fois debout), et surtout dans son exploration de la nature. Comme Mathieu et Elsa avant eux, Noé et Galaad plongent dans la forêt faute de place dans la société. Mais, si les deux frères sont encore des déclassés, leur parcours sylvestre a un but (le dépôt du Graal) et une fonction (leur complicité nouvelle). La forêt n’est plus un lieu de refuge, mais l’espace d’une possible transformation, dont l’effectivité demeure en suspens dans le dernier plan, réunissant les deux frères face à l’immensité de la nature. Tout au long du film, leur rapport à l’espace occupe une place centrale dans la construction dramatique des Conquérants. Les deux frères sont toujours de trop dans le décor, quel qu’il soit. Au début, lors de la cérémonie funéraire, Galaad peine à atteindre l’avant de la salle et à saisir correctement sa guitare pour entonner une chanson de cowboy, dans une scène montrant l’absurdité fréquente de ces moments de recueillement. Pendant le cambriolage pour récupérer le Graal, l’espace résiste sans cesse aux plans des deux frères. Les heurts fréquents avec leur environnement ramènent les rêveurs dans le réel. « On n’est pas dans un film américain ! », s’exclame Noé face au projet d’aventures élaboré par Galaad. Ainsi, quand on se retrouve suspendu à une corde au milieu d’une salle des coffres, ce n’est pas avec la dextérité d’un Tom Cruise que l’on se démène. Et, si l’on parcourt la nature comme des cow-boys dans un western, on se trouve bien dépourvu quand les indices manquent pour s’orienter ou que la faune se fait trop présente.
Docteur en études cinématographiques et écrivain, Xabi Molia sait jouer sur les registres génériques et manier les mots avec finesse. La qualité des dialogues est pour beaucoup dans le pouvoir de séduction des Conquérants. D’ailleurs, le film finit par se reposer un peu sur cette performance au détriment de sa dramatisation. Comme dans tout road movie, le voyage compte certes plus que la destination. Mais le film prend cette logique au pied de la lettre et s’étiole dans un dénouement sans panache. Les Conquérants n’en demeure pas moins un numéro de funambule habile, hors des cadres usés d’un cinéma français encore souvent balisé par la comédie potache et le drame social.