« Sept fois à terre, huit fois debout » : la formule est belle et résume bien le film et ses protagonistes, qui encaissent les coups avec une relative sérénité et trouvent toujours le moyen de rester (plus ou moins) d’aplomb après chaque nouveau revers. Elsa (Julie Gayet) cumule les petits boulots, tente tant bien que mal de ne pas se faire expulser de son appartement et n’a qu’un seul objectif : obtenir la garde de son fils. Son voisin de palier, Mathieu (Denis Podalydès), plante ses entretiens d’embauche avec une régularité de métronome et occupe son temps libre en faisant du tir à l’arc. Entre les deux, une amitié improbable se noue, et peut-être plus.
Avant Xabi Molia et ses deux galériens magnifiques, peu de réalisateurs français se sont frottés avec succès aux comédies sociales qui font (parfois) les beaux jours du cinéma américain ou britannique. Si le jeune cinéaste – dont c’est le premier long métrage après plusieurs romans et une poignée de courts – évoque, dans le dossier de presse, quelques jolis films comme Les Berkman se séparent ou Half Nelson, 8 fois debout rappelle plutôt l’atmosphère cotonneuse des premiers David Gordon Green (notamment le beau All the Real Girls, inédit en France) ou, plus proche de nous, les comédies de Pierre Salvadori (particulièrement Les Apprentis et Après vous…). Moins pétillant que ce dernier, Xabi Molia se distingue par un ton plus doux-amer et un scénario qui se dévoile par petites touches.
C’est, par ailleurs, la principale faiblesse de 8 fois debout : en l’absence d’une colonne vertébrale solide, le réalisateur s’embarque parfois dans des chemins parallèles qui, s’ils ne manquent pas de charme, parasitent un peu la bonne tenue de l’ensemble. D’une certaine façon, la structure du film est cohérente avec les parcours de ses personnages : en dent de scie, pleins de creux et de bosses, de faux départs et de pauses forcées. En imposant au film le rythme erratique des journées de ses deux anti-héros, Xabi Molia parvient à rendre concret ce sentiment de décalage permanent : boulots de nuit et entretiens d’embauche en matinée, baby-sittings qui permettent de rattraper les heures de sommeil, promenades dans des forêts presque désertes les jours de semaine. Le cinéaste développe un rapport intéressant entre le déclassement social de ses personnages et un retour à la nature qui, s’il est d’abord choisi (on se balade dans les bois puisque l’on n’a rien d’autre à faire), est ensuite imposé (on s’y installe sous une tente quand on n’a plus de toit). À l’instar d’autres cinéastes d’ici (Pierre Schoeller dans Versailles) ou d’ailleurs (Kelly Reichardt dans Wendy & Lucy), Xabi Molia réinvente les forêts en bordure des villes comme des espaces de repli, où celles et ceux qui n’ont plus de place dans l’ordre social n’ont d’autre choix que de se réfugier.
D’entretiens ratés en espoirs déçus, de combines pour mieux survivre en jobs alimentaires où la dignité de chacun menace d’être bafouée à tout instant, Elsa et Mathieu traversent 8 fois debout avec une grâce infinie. Si Denis Podalydès contamine tout le film de sa poésie burlesque, c’est surtout Julie Gayet qui impressionne : femme courage un peu dilettante, mauvaise mère aimante et volontaire, douce et arrogante, capricieuse et généreuse, sa Elsa est une merveille de contradictions et d’humanité. Une image revient : au bord d’un lac, clope au bec, la jeune femme balance sa plante verte à l’eau pour s’en débarrasser une bonne fois pour toutes. Mais la plante récalcitrante remonte à la surface et poursuit son chemin, sous l’œil interloqué d’Elsa. Toujours debout.