À l’occasion des quarante ans du coup d’état militaire au Chili, sort en double programme Septembre chilien, le film de Bruno Muel, tourné à chaud, quelques jours après le renversement du régime d’Allende, et Les Enfants des mille jours, qui interroge depuis aujourd’hui ceux qui ont connu la première présidence de gauche du pays. Entre l’urgence d’un filmage en période de crise et un retour sur le passé, les deux films évoquent l’espoir d’un pays en voie de développement puis son basculement dans l’horreur.
Élu en 1970 Président du Chili, Salvador Allende, candidat du parti de l’Unité populaire, mourra trois ans plus tard, le 11 septembre 1973, lors du coup d’état militaire qui permettra à Pinochet de prendre le pouvoir. C’est une belle idée de programmation que d’avoir regroupé sous une même séance deux films qui se répondent, l’un traitant, au présent, de la dictature militaire, et l’autre revenant sur le souvenir des mille jours d’«allendisme». Des motifs tissent le lien qui va de l’un l’autre, comme l’Internationale, chantée dans les rues, par un petit groupe de partisans communistes, trait d’union entre les différentes époques.
Produit par Iskra, outil coopératif de réalisation, et soutenu dans sa diffusion par Scopcolor, Septembre chilien s’inscrit parfaitement dans la forme du cinéma de lutte des années 1970 où l’heure était à la collaboration. Solidarité entre cinéastes : Marker apportera son concours, et Scopcolor, société de production créée par des journalistes suite à leur éviction de l’ORTF après mai 1968, aidera à la diffusion. Solidarité des cinéastes envers le peuple, à travers un cinéma engagé et participatif, promu notamment par les groupes Medvekine. Muel s’inscrivait à l’époque dans ce type de travail collaboratif qui consistait à apporter dans les usines des moyens de réalisation et à donner aux ouvriers la possibilité de s’exprimer par le cinéma. Le tournage de Septembre chilien s’est effectué dans un mouvement similaire, avec une volonté de donner la parole sur le vif aux Chiliens, au moment même du coup d’état militaire.
Les témoignages de personnes arrêtées, battues, violées, du harcèlement des militaires s’entrecroisent avec des images prises à la volée, dans les rues, de la présence d’hommes en arme. La beauté du 16 mm souligne l’urgence de voler ces images à la rapidité avec laquelle les événements sont en train de se produire. Le projet du film est né ensuite, raconte Bruno Muel, à partir des images attrapées sur place, dans le chaos.
En contrepoint, le documentaire de Claudia Soto Mansilla et Jaco Bidermann part de du choc de l’élection de l’ultralibéral Piñera en 2010 et des slogans anti-communistes qui ont fleuri alors, pour questionner l’héritage des Mille jours de règne de Salvador Allende.
La réforme agraire, la nationalisation du cuivre, l’ambition de scolarisation : à travers le récit par ceux qui les ont vécus, de ces grands chantiers, connus sous le nom des quarante réformes, point le portrait d’un homme qui s’est totalement identifié à son pays et à la destinée de celui-ci. Tendant à l’hagiographie béate, le film place le spectateur dans la frustration d’une véritable réflexion sur cette époque et ce régime. Pas sûr, donc, que la confrontation des deux films dans une même programmation tourne, en termes de richesse des témoignages, de montage, de cadrage, à l’avantage des Enfants des mille jours.