On aura souvent entendu l’argument de sincérité d’un cinéaste pour défendre tel ou tel film. Argument insuffisant bien sûr : la seule sincérité n’a jamais fait de jolis films. Or, dans Les Mains libres, elle sert une grande pudeur jusque dans la mise en scène et l’écriture de ses personnages. Rien ne passe en force malgré l’âpreté du milieu carcéral. Comme chez Philippe Garrel, Les Mains libres hurle que l’amour est une lutte sanglante mais inestimable.
Les mains étaient levées la semaine dernière chez Romain Goupil. Cette semaine elles se baissent, se cachent et souffrent de ne pas être libres. Le titre du film de Brigitte Sy résonne comme un cri désespéré et dont l’héroïne mettra tout en œuvre afin qu’il ne reste pas étouffé. Barbara (Ronit Elkabetz) travaille avec quelques détenus en vue de préparer un long-métrage. Tous vont passer devant la caméra afin de raconter leur propre expérience. Nait un flirt entre Barbara et l’un d’eux, Michel (Carlo Brandt). Brigitte Sy dont c’est le premier long-métrage, avait déjà consacré un court-métrage à ce sujet, elle-même ayant déjà travaillé avec des détenus. La grande force du film tient dans la rencontre de deux comédiens, et de ces deux personnages. Le couple que forment Barbara et Michel est miraculeux car il rassemble l’érotique délicatesse de Ronit Elkabetz et la rugosité de Carlo Brandt. Et ce sont précisément lorsque ces deux valeurs s’inversent que la naissance de l’amour prend sa forme et son ampleur. Notamment dans cette scène où Michel caresse la jambe de Barbara. Cette dernière, mal à l’aise à l’idée qu’un gardien de prison les surprenne, ne se livre pas véritablement, gestuellement et jusque dans les mots.
La charpente du film tout entier est dans la porosité entre l’intérieur de la prison et son extérieur et dans le même jeu de frottements, entre la fiction et le documentaire, entre la réalité et le spectacle. Les corps amoureux se donnent toujours en spectacle : ils trouvent leurs espaces de liberté quand ils parviennent à s’isoler mais la tension est omniprésente. Tout se fait en cachette, en chuchotant, en douce. La majeure partie du film met en scène la formation du couple autant que sa capacité à exister à la fois au sein d’une prison et des séances de travail. Le dénouement intervient alors avec d’autant plus de force que Brigitte Sy donne davantage de longueur à ses plans : il faut voir l’émotion que charge la durée de ce plan interminable où Barbara attend de retrouver Michel en fin de film.
La citation explicite de Philippe Garrel (Brigitte Sy, mère de Louis Garrel) a pour effet de désamorcer le poids de tout son cinéma avec une jolie pirouette qui dit en gros : «C’est parfois un peu lent mais ce n’est pas compliqué.» Le couple, indéniablement la figure centrale du cinéaste, est aussi celle qui est au cœur des Mains libres. Or ici, le couple est sans cesse remis en question car soumis aux règles et aux normes qu’une société impose. Le film de Brigitte Sy a le grand mérite d’affirmer que personne ne peut légitimement entraver à l’amour de deux personnes. Barbara ira à l’encontre de la loi pour Michel : car si les mains ne sont pas toujours libres, le cœur le reste toujours.