Les arguments de documentaire sur un groupe de personnes accomplissant des activités d’ordinaire dévolues à d’autres catégories inspirent rarement une confiance immédiate. On craint le risque du pittoresque, de voir des personnes réduites à des objets de tourisme et de condescendance, arborant l’étiquette « certifié authentique » apposée par la caution documentaire, et instrumentalisées pour garantir le succès public de leur image contrôlée par d’autres. On se rappelle l’exemple du douteux documentaire-making of à succès Benda Bilili !, de son sympathique groupe de musiciens handicapés moteurs de Kinshasa, et de la bien moins sympathique façon dont les réalisateurs flattaient leur propre bonne conscience sur le dos de leurs sujets dont ils ne tiraient que l’image d’Épinal de la débrouille africaine. Alors on ne part pas vraiment aussi optimiste que ces Optimistes, cette équipe norvégienne de volley féminin amateur dont la première particularité est que ses joueuses sont âgées de 66 à 98 ans, et dont la réalisatrice Gunhild Westhagen Magnor (fille de l’une des joueuses) suit les efforts pour organiser un match amical avec une équipe masculine suédoise à peine plus jeune. Et puis, c’est l’aplomb de la chose qui nous saisit, par son honnêteté : non seulement le film est bien le feel good movie qu’il promet dans sa promotion, mais il l’assume complètement – c’est-à-dire que tous ceux impliqués l’assument, la réalisatrice mais aussi ses sujets qui jouent le jeu.
De fait, surmonter le scepticisme de départ implique de dissiper un malentendu : dans Les Optimistes, la vérité documentaire est moins une finalité qu’un accessoire pour raconter une belle histoire. Chaque séquence laisse apparaître que les femmes filmées jouent leur propre rôle, qu’elles se savent mises en scène et exposées au regard d’un public. Certains événements comme la rencontre avec les Suédois ont même été intégrés, de par l’implication de la réalisatrice, dans le processus de mise en scène. Alors, il est sûr qu’on n’est pas vraiment dans l’interrogation des aspérités du réel que l’on attend d’un documentaire (ce que les esprits chagrins déploreront), mais dans le storytelling pur et simple. Néanmoins, voir les sujets participer ainsi activement à ce storytelling, à leur image certes enjolivée, sans laisser aucun regard surplombant la voiler de quelque arrière-pensée malsaine, ajoute assurément au capital sympathie de l’entreprise. D’autant plus que leurs efforts pour se montrer en équipe sportive compétente ont la capacité assez bienvenue de déplacer le centre d’intérêt du film, l’éloignant de son argument le plus publicitaire : il ne s’agit plus vraiment de l’âge de la capitaine, mais plutôt de la tentative de se comporter en professionnel quand on a été amateur toute sa vie. Ayant pratiqué le volley pendant trente ans suivant des règles maison, voilà nos joueuses qui doivent se remettre au parfum du règlement fédéral du sport, décider s’il faut autoriser ou non à « boxer » le ballon, etc. Soit une façon de perturber le confort du cercle d’amies pour se confronter au monde.
Quant à la question de la vieillesse, elles la réduisent elles-mêmes à un accessoire du jeu, jusqu’à leurs âges respectifs qu’elles arborent comme numéros de maillots. Démarche de saine banalisation que la réalisatrice ne cherchera pas à troubler, appuyant sans faillir (fût-ce à coups de musique « tex-mex ») leur campagne pour ne jamais paraître des phénomènes forains qui ne devraient être là où elles sont, mentionnant comme une anecdote que la doyenne de l’équipe est atteinte d’un cancer avant de la suivre rejoignant ses équipières comme si de rien n’était. Pas de larmes, au vestiaire le drame : cela peut paraître un peu lisse, mais au moins peut-on en apprécier la délicatesse.