Peut-être existe-t-il quelque part un réalisateur brûlant d’impatience à l’idée de porter à l’écran la vie trépidante des Spice Girls. Après tout, les cinq bécasses ont dominé le monde de la pop pendant quatre courtes années et ont définitivement imprimé leur empreinte dans l’inconscient collectif, à défaut de l’histoire de la musique. Car en matière de biopic, il n’y a pas de sujet idiot… La preuve en est avec Les Runaways, adaptation cinématographique de l’ascension météorique et de la dissolution tout aussi rapide du groupe du même nom, dont la particularité est d’avoir révélé Joan Jett et rencontré un petit succès entre 1975 et 1978 (au Japon, le groupe fit un tabac assez étonnant, se classant en popularité juste derrière Abba, Kiss et Led Zeppelin).
What else ? Rien, ou si peu. Le film se concentre, à juste titre, sur la relation entre la toute jeune Joan Jett (Kristen Stewart, l’héroïne de Twilight), ado rebelle pressée d’envoyer bouler son quotidien plan-plan à grands coups de guitare électrique, et Cherie Currie (Dakota Fanning, la petite fille de Tom Cruise dans La Guerre des mondes), qui étouffe dans sa middle-class et se rêve en pendant féminin de David Bowie. Pour la réalisatrice Floria Sigismondi, le reste du groupe n’a que peu d’importance : repérée par le producteur Kim Fowley à la sortie d’un club, la brune Joan devient rapidement la vedette des Runaways aux côtés de la blonde Cherie, recrutée pour son look incendiaire de lolita prête à affoler le mâle américain par ses minauderies ultra provocantes (elle n’a alors que 15 ans). La première compose, explose sa guitare comme si sa vie en dépendait et fait les chœurs pendant que la seconde, sans avoir l’air de comprendre ce qui lui arrive, embrase la scène vêtue d’une guêpière en éructant : « Hello daddy, hello mom~/ I’m your ch ch ch ch cherry bomb / hello world, I’m your wild girl / I’m your ch ch ch ch cherry bomb » (dans le langage courant anglais, « cherry » fait référence à la virginité des jeunes filles).
Avec une matière aussi brûlante, la réalisatrice aurait pu signer un Mulholland Drive ado plein de poudre, de paillettes et de gueule de bois. Elle se contente de signer un long, très long clip qui survole tout ce qui pourrait apporter un tant soit peu de chair au sempiternel refrain de la « splendeur et misère d’une rock-star»… La bisexualité et les addictions diverses des deux héroïnes ne sont utilisées que pour donner au film un vernis indé-chic qui ne dupe plus personne, la musique n’est qu’un accessoire au même titre que les costumes et le personnage de Joan Jett semble si droit et juste dans sa rébellion (le film est co-produit par Joan Jett elle-même…) qu’il en devient transparent, et donc secondaire (l’interprétation atone de Kristen Stewart n’aide pas beaucoup). Reste le personnage de Cherie Currie, assez banal sur le papier (la gamine branchée mais timide qui devient la vraie star du groupe, déchaîne les passions et les jalousies, pète les plombs et s’écrase aussi vite qu’elle a décollé), et complètement transcendé par l’interprétation de Dakota Fanning. La réalisatrice a l’intelligence, dès la première scène, de souligner la métamorphose sidérante d’une enfant-star que le monde entier a vu grandir au cinéma : une goutte de sang tombe sur le trottoir, le plan suivant nous montre que la jeune femme a ses premières règles. Une poignée de minutes plus tard, la sage Dakota/Cherie massacre sa coiffure pour devenir une icône glam instantanée, à la Blondie. Quand, aux trois quarts du film, Dakota/Cherie (15 ans au moment du tournage) joue de façon très explicite avec son micro devant une horde de Japonaises hystériques, il est clair que la jeune actrice vient définitivement d’enterrer la vedette du Petit Monde de Charlotte. Surtout, elle le fait avec brio : pas vraiment intéressée à l’idée de singer la vraie Cherie Currie, dont les frasques scéniques au moment des faits dégageaient une agressivité sexuelle qui lui faisaient paraître beaucoup plus que son âge, Dakota Fanning joue de l’ambiguïté qui se dégage de son corps encore frêle de toute jeune femme. C’est d’autant plus dérangeant que ses traits, eux, n’ont pas beaucoup changé. L’actrice semble en avoir pleinement conscience et, par le truchement de ce corps en mutation lâché en pâture pour la postérité, elle incarne avec une assurance doublée d’une frayeur assez fascinante cet instant indéfinissable où l’enfant disparaît définitivement pour faire place à l’adulte en devenir. Bien plus passionnante que le film, Dakota Fanning met en scène sa propre adolescence : on se demande vraiment ce que cette actrice déjà hors du commun va faire de la seconde partie de sa carrière, qui promet d’être étonnante.