Comment faire passer le récit court d’un conte pour enfants au format d’un long métrage? Les scénaristes des Trois Brigands ont pris le parti très heureux (et risqué) de développer les personnages. Résultat : rythme soutenu, personnages attachants et aspect visuel enchanteur.
Au départ des Trois Brigands, on trouve l’histoire de Tomi Ungerer, et de ses trois horribles bandits devenus gentils après la rencontre avec une petite orpheline. Ce qui convient à un conte en quelques pages n’est certes pas l’idéal pour un long métrage, et le risque de perdre l’esprit originel était grand. Fort heureusement, les scénaristes Bettine et Achim von Borries ont très judicieusement pris le parti de se focaliser sur le développement des personnages et de leurs environnements.
À la mort de ses parents, la petite Tiffany doit être confiée à un orphelinat – un exil à l’idée duquel la petite fille ne parvient pas à se faire. Lorsque la calèche qui l’emmène tombe aux mains des mystérieux et terribles trois brigands de la forêt, elle y voit une chance d’échapper au destin qu’on lui réserve. Mais pendant ce temps, dans son sordide orphelinat, la « tante » des enfants n’en démord pas : elle doit retrouver la petite.
De son histoire assez simple, Hayo Freitag parvient à tirer un film rythmé sans temps mort, notamment grâce à une judicieuse réécriture des personnages qui reste bien dans l’esprit du conte originel. Il s’agit également pour le réalisateur et son équipe de créer un monde en adéquation avec la nouvelle psychologie de ses personnages, ce qu’il fait avec un brio certain. Les Trois Brigands se déroule ainsi dans trois lieux distincts : la caverne, l’orphelinat et la forêt elle-même.
La caverne des bandits, lieu éminemment labyrinthique, se veut pourtant manifestement l’espace de liberté par excellence. Ainsi, si les trois brigands et la petite fille y trouvent chacun une échappatoire à leur quotidien sordide et redouté, c’est aussi l’endroit où la mise en scène se sent la plus libre, foisonnante : les murs, couloirs, distances sont abolis, et les scènes les plus complètement fantasmagoriques s’y déroulent. L’orphelinat, au contraire, évoque une esthétique sombre, cauchemardesque, entre un Dali torturé et une esthétique presque expressionniste. Entre les deux, la forêt évoque encore Dali, avec un ensemble visuel très soigné, mais caviardé de détails incongrus et parfaitement féeriques (un robinet qui goutte sort d’un nœud dans le bois d’un arbre, un hibou imprudent rentre tête première dans la lune…). L’intégralité du film est baignée dans des couleurs soignées, chatoyantes : le film évoque irrésistiblement le soin doux et pertinent apporté à l’univers visuel du très beau U.
Sur une musique de tous les diables, Les Trois Brigands est donc un conte enfantin sans être mièvre le moins du monde, et la démonstration de ce que peut être un film adapté judicieusement. Sans trahir l’esprit du conte originel, le film développe ses propres problématiques esthétiques, une identité visuelle marquée, notamment par l’emploi d’une 2D décidément bien plus chaleureuse que toutes les 3D rutilantes du monde. « Les enfants n’ont pas besoin de livres pour enfants, mais d’histoires bien racontées », note Tomi Ungerer. Eh bien, monsieur Ungerer, voilà une histoire remarquablement racontée.