Serge Elissalde pour la mise en scène, Grégoire Solotareff, auteur-illustrateur majeur de la littérature jeunesse, pour le scénario et les décors, et voici reformé le duo de choc de Loulou et autres loups sortie en salles en 2003. Loin des animations portées exclusivement sur la ligne, le tracé, et l’obsession du détail, U est magnifiquement bariolé et prend soin d’un scénario attentivement construit, de personnages savamment dessinés, d’un casting de voix qui frise la perfection et d’une truculente musique signée Sanseverino, qui prête d’ailleurs sa voix et son physique à Kulka le chat. Le dessin animé, la 2D, s’allie ici à la 3D et cette dernière ne tranche pas sur l’aspect artisanal du travail peint. Une leçon de genre.
Mona est une petite princesse très seule dans son château isolé sur les flots. Accompagnée de deux acariâtres rats, ses parents, elle pleure souvent. Et dans ces pleurs, un jour, une licorne, U – la licorne en latin se dit unicornis – fond devant elle. Ange-gardien mais surtout pas fée (« Les fées changent le destin, moi je l’accompagne » dit-elle), U va donc protéger Mona qui grandit, grandit et attend, sans encore le comprendre, son prince charmant. Et justement, le film commence avec l’arrivée d’étrangers, des « ouais-ouais », qui jouent de la musique et vont bouleverser le destin de Mona et de U. Ce scénario d’une touchante simplicité est servi par quelques dialogues pittoresques et poétiques, d’autant pittoresques que dits par des comédiens en état de grâce : Isild Le Besco, Bernadette Lafont, Vahina Giocante, Sanseverino et surtout, surtout Guillaume Gallienne, déjà repéré et épatant dans La Jungle et qui a l’insigne mérite de rendre bouleversant un lézard.
Car tous les personnages sont des animaux : du lézard au lapin en passant par un chat, un loup, des rats et une licorne. Mais cet anthropomorphisme ne sombre jamais dans l’insignifiance, ni la bêtise. Certes des animaux mais ils n’ont pas forcément le caractère qui va avec leur être profond : le loup n’est pas féroce et n’est loup que par inadvertance, le lézard pense pouvoir séduire une licorne, les lapins aiment la cuisine, etc. Mona, Lazare, U et les autres sont d’indolentes petites personnes qui parlent beaucoup et n’agissent que par à coup. Leur caractère est ainsi davantage marqué par l’oralité – confidences, bavardages – que par les gestes. Ainsi, U, Lazare, Mona et les autres ne sont pas des caricatures, des parodies. Aspect rare dans le dessin animé et qui mérite d’être souligné.
De même, les silhouettes de ces bestioles sont travaillées en fonction du décor. Et dans toutes les trouvailles – de mise en scène et scénaristiques – les personnages sont autant de taches de couleur ciselées en rond, carré, triangle, et sont incorporés à l’univers créé. Et cette fusion entre décors et personnages donne à penser que les uns ne pourraient vivre sans les autres. Ce qui n’est pas toujours le cas dans des films d’animation souvent préoccupés par un détail alléchant au détriment du décor et de l’histoire (Cars par exemple où l’unique intérêt est centré sur la prouesse technique dans la représentation d’une voiture de course). L’apparente grossièreté des rendus est au contraire minutieusement développée et les lieux (château, plage, forêt) sont à chaque fois traités comme des entités autonomes, parfois aussi comme des tableaux. Les références à des toiles peintes par Gauguin, Rembrandt, Vallotton se justifient autant que la délicieuse deuxième séquence du film qui rejoue Le Mépris de Jean-Luc Godard.
Les cadrages sont également construits en fonction de la silhouette des personnages, notamment celle de la longue et fine Mona. Entrer dans le cadre devient alors, pour certains, comme le lézard et Mona, un défi : celui de faire partie de l’image. Et ce jeu que les réalisateurs opèrent avec Lazare et Mona trouve une délicate incarnation en la licorne, U. Cette dernière qui aimerait tant rester dans le cadre se met à rétrécir et à fondre définitivement dans l’image. Elle disparaît, non pas de l’image mais dans l’image pour mieux réapparaître en plein générique final. Ces incessantes apparitions-disparitions, si elles donnent un sens à la création animée, rendent aussi compte de la vision enfantine : on ne voit que ce qui nous parle et nous chante à des moments opportuns.
Ainsi, U peut s’enorgueillir de toucher autant les enfants que les grands et d’être un des films d’animation les plus authentiquement vrais de ces dernières années.