Changement d’axe
Sita sélectionne des candidats pour une émission de télé-réalité, arpente le vaste Berlin contemporain, à scooter ou au pas de course. Sa vie se déploie sur un plan horizontal, celui de la circulation des images et des déplacements d’un bout à l’autre de la ville. Ces mouvements qui structurent le film, et lui donnent un rythme plutôt bien balancé, vont bientôt prendre une autre échelle : c’est toute l’Europe centrale qui sera le lieu de ses transits, entre Allemagne, Autriche, Pologne et Roumanie. De simple circulation des flux exigée par le style de vie contemporain, la mobilité de Sita devient plongée et remontée sur la verticale de l’histoire.
Histoire tragique, psycho basique
Il aura fallu, pour qu’elle découvre l’épaisseur de l’histoire, que Sita tombe sur une photo de son grand-père en uniforme SS. Cela fait tâche sur l’image du bon papi et de la famille bourgeoise. Les données du problème sont classiques : contre le silence et le refoulé familial, malgré l’hostilité d’un père qui préférerait laisser le passé où il est, Sita va chercher à faire émerger la vérité. Son enquête généalogique et historique va l’emmener des tiroirs du grand-père aux archives de Vienne, d’Auschwitz ou de Varsovie. Le jeu de piste est plutôt bien mené, efficace scénaristiquement et instructif quant à la fabrique de l’histoire, à la conservation de ses documents et à leur accès. Mais il y a autour de ce scénario d’abord bien resserré tout un tas de broderies qui le diluent et un esprit convenu qui empêchent Les Vivants d’être plus qu’un honnête film jeune-européen de l’année 2014.
Il y a d’abord cette psychologie sans doute pas fausse mais triviale, qui donne son impulsion et sa couleur à l’enquête : au traumatisme de la découverte succède un irrépressible besoin de savoir. Il faut que la lumière soit faite, sans quoi Sita ne pourra pas se construire… et cultiver son amour naissant avec le jeune homme israélien qu’elle vient de rencontrer. Un juif peut-il aimer la petite-fille d’un gardien de camp d’extermination ? Ce n’est pas que la question n’ait aucune pertinence, mais la ficelle est un peu grosse et il est décevant de voir la prise de conscience historique immédiatement rabattue, de manière mélodramatique, sur une histoire de couple impossible.
Merveilleuse jeunesse !
C’est ensuite les leçons éthiques à gros sabots qui fatiguent un peu, l’évidence avec laquelle on parle depuis le camp du bien. En un mot : la jeunesse européenne doit rééduquer ses parents. Peut-être faut-il, pour pouvoir regarder l’histoire en face, sauter une génération et le faire contre ses parents. Mais le procès qu’une jeunesse indignée fait volontiers à ses aînés ne mange pas de pain. Le père, engoncé dans son habit de bourgeois sérieux et froid, a toujours le mauvais rôle, sauf lorsqu’il commence à verser des larmes sous l’influence de sa fille. La figure autoritaire et répressive, qui a fait le choix de la censure et du compromis, se défait devant l’ardeur, l’innocence et l’entièreté juvéniles. Quoi de mieux, comme emblème de cette force, que le grand cri poussé par Sita, sous la pluie et, bien sûr, face caméra ? Que la leçon de morale et de vie est convaincante lorsqu’elle est administrée par une belle jeune fille ! Grande et belle bouche ouverte aux dents blanches et bien en place, désir, authenticité, joie, indignation, exigence infinie, métonymie de la jeunesse exposée sur tous les murs de la société spectaculaire ! Il est triste de vouloir faire du cinéma et d’utiliser avec une telle bonne conscience des images aussi usées, et pourries de l’intérieur par la publicité. Tout le film, heureusement, n’est pas de cet acabit.