Le premier long métrage de Flavia Castro s’inscrit dans un genre sur-représenté dans le champ du cinéma documentaire: le film d’enquête autour d’un drame familial. Son point de départ est en effet un décès brutal, celui du père de la réalisatrice, Celso, militant révolutionnaire retrouvé mort par balle dans le domicile brésilien d’un ancien nazi. Flavia Castro remet en question les conclusions de l’enquête (il s’agirait d’un suicide) tout en racontant parallèlement l’histoire de son père, qui est aussi la sienne. Mais faute de trouver une forme adéquate à son projet, la réalisatrice échoue à donner à son récit une portée suffisante pour intéresser le spectateur de façon soutenue.
L’un des problèmes majeurs du film est que la réalisatrice ait persisté dans son intention initiale malgré le fait que ses recherches ne s’avèrent absolument pas concluantes. Tout au plus les personnes mêlées à l’enquête avouent-elles que l’hypothèse du suicide n’était rien de plus qu’une hypothèse et qu’effectivement, les circonstances exactes de la mort n’ont pu être déterminées avec certitude. Certaines connaissances estiment par ailleurs que Celso « n’aurait pas fait ça »… En somme, l’investigation menée par la réalisatrice brasse du vide. Elle ne fait que pointer les fragilités de l’enquête initiale, sans apporter d’éléments qui justifieraient réellement cette volonté de la rouvrir. Comme le pointe son frère dans le film, la question que s’est posée Flavia Castro n’était donc sans doute pas la bonne : plutôt que d’essayer naïvement d’éclaircir ce qui avait pu se passer dans cet appartement, il aurait plutôt fallu s’interroger sur ce qui avait mené Celso à entreprendre un tel braquage. C’est cette idée qui clôt le film et le transforme rétrospectivement en cheminement vers le deuil de ses illusions. Jolie pirouette, mais elle ne suffit pas à racheter la façon très premier degré dont la réalisatrice présente son enquête, qui montre bien que le recul nécessaire pour s’apercevoir de l’inanité des éléments recueillis et de l’ennui que leur exposition imposerait au spectateur lui a fait défaut.
Heureusement, on peut trouver un peu plus d’intérêt dans le récit que le film développe à côté de l’enquête. Flavia Castro retrace le parcours de son père, et par conséquent l’histoire politique de l’Amérique du Sud, dont il fut un acteur. Ce récit s’effectue par le biais de souvenirs d’enfance racontés par la réalisatrice en voix off, lectures de lettres écrites par Celso et témoignages de proches. La réalisatrice trouve ici une matière plus solide, mais ne parvient pourtant pas à en tirer grand chose. En effet, elle ne choisit jamais vraiment son sujet et ne met donc pas en œuvre les moyens cinématographiques qui lui auraient été adaptés. Le film aurait pu être une remémoration autobiographique de son enfance dans le contexte agité du militantisme, des exils et des dissimulations, mais il lui manque pour cela quelque chose de plus poétique, de plus sensible. Il aurait pu être une évocation de l’histoire des luttes révolutionnaires armées en Amérique du Sud, mais il aurait alors eu besoin d’images d’archives et de témoignages plus précis. Il aurait enfin pu se concentrer plus clairement sur la figure de Celso, tenter d’en dresser le portrait. C’est encore ce dont le film s’approche le plus, mais il lui manque pour être réussi en ce sens une construction adéquate, problématisée autrement et débarrassée de tous les parasites présents dans le film en l’état.
On a donc l’impression que Flavia Castro se lance dans ce projet ambitieux sans produire suffisamment d’efforts pour donner à son film une valeur à laquelle nous spectateurs pourrions être sensibles. À ce titre, l’accumulation de photos de famille est symptomatique d’un certain nombrilisme. S’il est utile d’en voir quelques unes pour pouvoir se représenter les différents personnages et les époques successives, on arrive rapidement au stade où ce déversement d’images quelconques n’apporte plus rien et où l’on se sent quelque peu oublié par le film. De même, la sobriété appréciable de Lettres et révolutions va de pair avec quelque chose que l’on peut attribuer soit à de la fainéantise, soit à une faible conscience des moyens qu’offre le cinéma. Ni le cadrage, ni la mise en scène, ni la plasticité de l’image ne sont véritablement utilisés comme moyens discursifs à part entière et la majorité des plans ne fait que nous livrer l’objet de la représentation de la façon la plus plate. Tout ce que ce film aura finalement réussi à faire, c’est nous donner envie de revoir À bout de course. Par la fiction, Sidney Lumet sut y évoquer d’une façon infiniment plus ciselée ce que signifie être parent ou enfant dans le contexte des luttes armées.