Produit par Playtone, la société de Tom Hanks, Lucas, fourmi malgré lui joue la carte du prestige grâce au casting de voix américaines (de Julia Roberts à Meryl Streep notamment) et prend à revers l’histoire d’une colonie de fourmis en introduisant un élément bien perturbateur : un enfant. Adapté d’un roman à succès de John Nickle, ce troisième film d’animation de John A. Davis (après Le Père Noël contre le bonhomme de neige et Jimmy Neutron) n’a pas le même éclat coloré que ces précédents : une tonalité pastel unifie et les décors et les personnages, ne laissant que peu de place aux reliefs, aux sinuosités, aux aléas ; la peau de la grand-mère, par exemple, est d’une trop grande élasticité tandis que les fourmis perdent toute consistance avec leur tête de masques africains, et ce, malgré les expressions touchantes et conventionnellement humaines !
Lucas, petit bambin à lunettes, rencontre quelques difficultés à se faire respecter dans son quartier. Finalement, la seule chose ou le seul élément qui ne lui résiste pas est cette colonie de fourmis majestueusement installée au centre de son jardin. Alors, par à coup, par sadisme, Lucas détruit ce que ces pauvres minuscules insectes ont patiemment construit, jour après jour. Dès le début, le montage parallèle a l’insigne mérite de travailler les changements d’échelles et de proportions sans appuyer exagérément sur l’immensité des uns et la petitesse des autres. Du microcosme au macrocosme, ciel et terre, le réalisateur oppose deux mondes qui pourtant doivent communiquer entre eux. Au sein de cette colonie, Zoc, un sorcier, invente une potion magique qui va donc réduire à la taille d’une fourmi l’insupportable gamin (les références aux romans Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède de Selma Lagerlof et Pinocchio de Collodi abondent). Et pour retrouver sa hauteur idéale, Lucas va devoir devenir insecte, se penser fourmi. En s’introduisant dans l’antre de la colonie, il va forcément apprendre sur lui, les autres, l’entraide, la générosité, l’humanisme, le travail, l’ordre, l’obéissance…
Parcours initiatique s’il en est, Lucas, fourmi malgré lui évite toute forme de surprise scénaristique ou animée. La présentation de la fourmilière, fourmilière qui renvoie pourtant à un univers extra-terrestre et aurait pu faire mouche en usant de références au cinéma de genre (science-fiction par exemple), utilise poncifs et idées reçues en mettant à l’image une tribu primitive (des dessins rupestres retracent la genèse de la fourmilière par exemple, les fourmis ont des « tatouages » sur la tête qui rappellent des scarifications, …). La découverte d’un nouveau monde n’éblouit pas — la fourmilière est trop parfaite, voire idéale et ne questionne pas — à la fin du récit, les fourmis, elles, n’ont rient appris de Lucas. Bien au contraire. La dénonciation de l’individualisme joue par trop la carte de la simplicité pour convaincre vraiment de son authenticité. Et qu’une fois encore des êtres humains sensés projettent sur des fourmis un univers rêvé en leur accolant des expressions et des mimiques, parfois ridicules et grotesques, laisse sceptique. De même, ce film ne donne aucune chance au sadisme de l’enfant (réalité autrement plus psychanalytique et essentielle dans la constitution de la personnalité), à ses pulsions, à ses caprices. Lucas doit être sage immédiatement et aider la communauté. Ce souci de rendre lisse le caractère et de ne mettre nullement en péril Lucas — les méchants ne le sont même pas — trouve ainsi écho dans l’animation même et cette neutralité du décor. Car l’animation est ici bien moins convaincante que sur le dernier né des studios Pixar sorti en juin dernier (Cars) et reste trop à‑plat. Ce qui normalement est foisonnement de vies — la terre — est réduit à très peu d’êtres animés et vivants. Du dialogue au récit en passant par l’image, Lucas fourmi malgré lui évite consciencieusement toute forme d’innovation et de risque.