Les efforts fournis par le système hollywoodien pour fédérer un maximum de spectateurs ont souvent pour conséquence la production d’objets incroyablement ennuyeux à force de coller aux chemins balisés par des succès antérieurs. Mais il arrive aussi parfois que, suivant cette même optique, les producteurs réunissent des artisans au talent certain, accouchant ainsi d’œuvres d’une qualité étonnante. M. Popper et ses pingouins en est une : tout en répondant à tous les impératifs fédérateurs de l’industrie, le film atteint des sommets de divertissement.
Certes, le film n’est pas un pur produit de l’industrie, puisque son argument vient d’ailleurs : il est inspiré d’un livre pour enfants datant des années 1930, très populaire outre-Atlantique. Il s’agit cependant d’une adaptation très libre ; les scénaristes ont conservé le propos fantaisiste de l’histoire originale – comment un homme s’accommode d’un manchot vivant arrivé chez lui par la poste et bientôt rejoint par quelques acolytes – et l’ont agrémenté de divers ingrédients aptes à le transformer en parfaite comédie familiale contemporaine : le père devient un promoteur immobilier sans foi ni loi, divorcé de sa femme et rendu étranger à ses deux enfants (un garçon, une fille) par son obsession du travail. Les manchots qui envahissent progressivement sa vie vont lui permettre de retourner dans le droit chemin: celui de la famille nucléaire. Point donc de subversion des codes ici, mais une prouesse à vrai dire plus admirable car plus ardue : le film ne s’appesantit jamais sur son message moral et le fait au contraire fonctionner en symbiose avec l’engrenage comique. Il permet donc aux enfants de rêver tranquillement à la réunification du couple parental sans trop assommer les adultes pour autant. Première victoire de la stratégie fédératrice.
Une seconde victoire se loge en vérité au creux de cette première : par un savant dosage des registres d’humour, M. Popper semble apte à procurer une jubilation égale selon les âges. Les enfants seront un peu décontenancés quand Jim Carrey imitera James Stewart (quoique), et les adultes seront sans doute peu réceptifs quand le manchot déféquera sur les chaussures de Popper (quoique), mais les uns comme les autres seront vite récupérés par le film, qui ne tardera pas à livrer un joli gag rien que pour eux. On ne doute pas que M. Popper et ses pingouins fera rire les enfants, et l’on peut donc considérer comme un tour de force le fait de parvenir en même temps à ennuyer aussi peu le spectateur adulte, si tant est que celui-ci soit capable de s’enchanter lorsque le manchot encore congelé agite ses ailes pour la première fois, de frisonner lorsque sa clique sème le trouble au musée Guggenheim.
Malgré un certain nombre de blagues à références, nous ne sommes pas ici dans le registre de l’humour de petit malin sur lequel s’appuient beaucoup les films familiaux qui font aujourd’hui consensus (ceux de la maison Pixar notamment), et l’on s’aperçoit qu’être saisi par ce simple rire de l’inattendu, par opposition au ricanement que suscite le troisième degré, est un événement rare et précieux. La qualité immédiate de ce rire est en partie due au talent corporel de Jim Carrey, outil comique dont l’emploi est lui aussi parfaitement dosé : on permet au comédien quelques moments de pure outrance surréaliste, mais avec un sens du rythme qui permet d’esquiver la lourdeur. Son style s’intègre d’autant mieux au récit qu’il est cohérent par rapport au personnage qu’il incarne. Il est par ailleurs assez agréable de voir un tel type de film incarné par des acteurs en chair et en os et de retrouver les sentiments spécifiquement liés à leur présence, à une époque où c’est le cinéma d’animation pure qui concentre le savoir-faire le plus pointu en matière de films tous publics. M. Popper et ses pingouins est d’autant plus intense qu’il joue sur les deux tableaux : celui du merveilleux que peut produire l’animation numérique, celui de l’émotion particulière associée au cinéma d’essence photographique. Énième victoire de la stratégie fédératrice.
On ne saurait trop à qui attribuer la réussite du film. Pas d’« auteur » en vue, il s’agit de toute évidence de la conjonction heureuse d’un travail d’équipe « à l’américaine », méthode qui affirme une fois de plus son efficience en matière de divertissement. La qualité de l’animation y est bien sûr pour beaucoup, l’excellence des dialogues et l’interprétation de Jim Carrey également. Mais tous les autres ingrédients sont eux aussi suffisamment soignés pour faire de M. Popper et ses pingouins un parfait film de genre. Plutôt que de chercher à renouveler les codes de la comédie familiale, de les considérer comme des pièges à éviter, il les embrasse avec une énergie décomplexée et parvient ainsi à les neutraliser.