Le royaume de Féerie ouvre à nouveaux ses portes aux studios hollywoodiens, et la question se pose : aura-t-on un récit benêt à la Narnia, ou un récit plus mature, plus fragile, à la Terabithia ? Conte de fée normand, donc, Les Chroniques de Spiderwick répond : un peu des deux. Trucages numériques à foison et conte plutôt sombre font bon ménage dans ce récit pas vraiment dans la norme du genre – et c’est tant mieux pour nous.
Cachant son divorce à ses deux plus jeunes enfants, Helen Grace part habiter dans la maison sylvestre reculée de feu son grand-oncle, Arthur Spiderwick. Ignorant le divorce, le plus jeune de ses enfants, Jared, supporte très mal le déménagement. En rupture d’affection avec son jumeau, sa sœur et sa mère, le jeune garçon passe beaucoup de temps seul. En explorant un recoin de l’antique bâtisse, il découvre un ouvrage rédigé par Arthur Spiderwick, qui se révèle contenir les secrets du monde des fées. Surpris, le jeune garçon se rend bientôt compte que le livre ne renferme pas que des élucubrations, mais que bonnes et mauvaises fées se disputent la possession de l’ouvrage. Et parmi ces fées maléfiques, le plus terrible, l’Ogre, ne reculerait devant rien pour s’en emparer…
Boggarts et boggan, redcaps, hippogriffe, pooka, ogre et pixies : Les Chroniques de Spiderwick est un rêve pour un lecteur de William Butler Yeats ou pour un admirateur du dessinateur Arthur Rackham. Le petit peuple fée est en effet diablement présent dans le film, via des effets numériques remarquablement bien intégrés à l’image, et une fidélité certaine à l’imagerie traditionnelle de ces créatures (notamment un superbe hippogriffe, largement plus convaincant que celui de la saga Harry Potter). De fait, les « fées noires », méchantes fées, tiennent une place de choix dans le film, ce qui reste passablement surprenant, puisqu’elles sont on ne peut plus capables de terroriser nos chères têtes blondes habituées à une certaine gentillesse graphique dans les films de ce genre. Manifestement, Mark Waters n’en a cure. Réalisateur du très mauvais et terriblement mièvre Et si c’était vrai…, Mark Waters fait donc la preuve qu’il est un bon « adaptateur » : donnez-lui une soupe de Marc Lévy, son film sera une bouse galactique ; donnez-lui un conte de fée à l’ancienne plutôt bien troussé à l’origine, et son film sera à son image.
N’en attendons guère plus, cependant, car Waters semble ne pas pouvoir offrir autre chose qu’une illustration à son matériau originel. Jolis effets, acteurs passables (dont le jeune Freddie Highmore, déjà vu dans le rôle titre de Charlie et la chocolaterie), scénario conforme aux contes de fées de l’ancien temps (quand on se souvenait encore de la noirceur inhérente au genre)… D’accord. Mais de cinéma, de mise en scène, de réelle utilité à ce passage à l’écran : point. Waters demeure un faiseur, manifestement capable, mais sans réel talent. Les Chroniques de Spiderwick renferme des vrais beaux moments, c’est indéniable, et on ne peut que saluer la façon dont le scénario colle au comique grotesque et très ambivalent des contes de fées de la tradition irlandaise, notamment (avec une péripétie porcine tout à fait inattendue, et probablement le meilleur moment du film…). Il reste cependant bien dommage qu’on ait eu à portée de la main un récit avec lequel on aurait pu retrouver la grâce anti-manichéenne qui était celle du Terabithia, ou de l’injustement oublié Forever de Nick Willing, mais qui se complait dans une absence totale de style. Au demeurant, Les Chroniques de Spiderwick reste un spectacle familial honorable, mais rien de plus.