Quel rapport entretenir avec son plus proche entourage à la veille de la mort ? Et peut-on réellement quitter la vie présente sans la frustration de l’inachevé ? Autant de belles questions que nombre de cinéastes transforment malheureusement en guimauves indigestes. Là où on aurait donc pu s’attendre au pire, Isabelle Brocard signe un premier film à la justesse étonnante, appuyée par une mise en scène rigoureuse et élégante. Un portrait de femme singulier, dont la sensibilité parvient à faire oublier quelques maladresses attendues.
Telle est prise qui croyait prendre. Celle qui avait rejoint le banc des Témoins impuissants de l’apparition du Sida chez Téchiné devient à son tour la patiente, le corps souffrant réclamant non plus un simple regard extérieur, mais une véritable accompagnatrice dans son cheminement vers la mort. Emmanuelle Béart prête ici la fébrilité naturelle de son propre corps à Julia, une quarantenaire gravement malade, qui profite de la précarité de Marine (Hafsia Herzi), rencontrée dans un hôpital de province, afin de lui proposer un étrange marché ; l’accompagner jusqu’à la mort contre un hébergement et une pension de 1000 euros par semaine. Autant dire que la simplicité formelle d’un tel accord a de quoi laisser craindre la trame scénaristique la plus prévisible et schématique ; filiation mère-fille de substitution, inversion de l’instinct maternel, le corps souffrant contre le corps en éveil… Il est presque certain qu’avec un tel sujet, nul ne semble à l’abri d’un discours ennuyeux et bavard, comme si le traitement de la mort devait nécessairement laisser place à toute une gamme d’oppositions thématiques, devant bien sagement rappeler au spectateur que la mort n’est qu’une continuité de la vie.
Dans son premier tiers, le film semble confirmer ces craintes et céder aux facilités les plus attendues, tant on pourrait croire que leur fonction consisterait à travestir le manque d’inspiration de la réalisatrice, tout d’abord visible dans la direction des comédiennes. Quoi de plus facile que d’opposer l’élégance bourgeoise d’Emmanuelle Béart à l’énergie insolente d’Hafsia Herzi ? À en croire les premières confrontations entre les deux femmes, l’une resterait en effet prisonnière de sa cinégénie hautaine tandis que la seconde, depuis ses premiers pas sous la caméra d’Abdellatif Kéchiche, serait réduite à un dictionnaire de verlan et à un exemple de vagabondage. Un choix entièrement justifiable, mais dont la visibilité dévoile ici bien trop rapidement les intentions de mises en scène. La délicate cohabitation entre les deux femmes ne semble ainsi pas dépasser le simple rapport mère-fille de substitution, l’une cherchant à remplacer sa propre enfant qui a choisi de déserter la maison afin de fuir la proximité de la mort, tandis que l’autre ne possède aucune attache familiale.
Les enjeux de cette confrontation ont beau perdre de leur pertinence dans l’apparente simplicité de l’intrigue, la réalisatrice parvient tout de même à sauver son film de la caricature, grâce à la précision de sa mise en scène, lui permettant d’emprunter les détours dramatiques les plus saisissants. Jouant sans cesse sur la presque impossible coprésence des deux femmes au sein d’un cadre filmique stable et serein, Isabelle Brocard alterne les points de vue comme autant d’états psychologiques à l’affût du moindre souffle de vie. La véritable force émotionnelle du film ne repose donc pas tant sur l’évolution de ses personnages, que sur leur inscription physique et abrupte dans le champ filmique. Cela permet au film de fuir toute lourdeur sentimentale tire-mouchoirs, l’intention n’étant pas de susciter l’émotion par les caprices d’une pauvre quadragénaire en fin de vie, mais par les transformations physiques insoupçonnées des deux femmes, que chacune va devoir assumer jusqu’au bout, et qui modifieront bien sûr leur rapport au monde. Tandis que la jeune Marine se découvre des poussées de lait qui identifient sa dévotion pour Julia à une maternité naissante, cette dernière ne rompt avec le repli sur elle-même que par les récits radiophoniques de son amant, incarné par Bruno Todeschini, qui quitte le lit d’hôpital prêté par Chéreau dans Son frère afin de se constituer également témoin de ce délicat passage vers la mort. En inversant les rôles habituellement confiés à de tels comédiens pour ce type de sujet, la réalisatrice instaure une justesse de ton offrant à chaque interprète l’opportunité d’une composition naturelle et habitée.